Témoins 102
Le Projet [102] expose ces 102 témoignages, à la Halle des Blancs Manteaux à Paris 4ème, du 21.02 au 1.03.2022.
102 oeuvres de 102 artistes accompagnent chacun de ces témoignages.
Chaque œuvre couplée à un témoignage rend hommage à chacun des 102 enfants décédés en 2019, dans un accident de la route en France.
Inaugurée à Paris, l’exposition Projet [102] sera ensuite itinérante sur toute la France.
Frédéric ACHILLE
Victime d’un accident de la routeCe vendredi-là, sur les routes tortueuses de l’île de La Réunion où je réside, je me donne une nouvelle fois à fond pour être au top au Championnat de Maurice, qui a lieu quelques jours plus tard.
Tout est calé pour être au rendez-vous, l’avion, le « mental » déjà dans la course et les derniers coups de pédale pour finaliser la préparation. C’est qu’à Maurice, ce ne sera pas une course tout à fait comme les autres, je suis originaire de Maurice, alors pas question de faire pâle figure sur ma terre natale.
Ce maudit vendredi 12 juin 2015, je profite d’une route rectiligne pour donner un coup de cravache dans un dernier sprint. En une fraction de seconde, la ligne droite se brise, un fourgon de livraison me coupe la route et c’est le choc de plein fouet…
Smur, pompiers, hôpital, la liste des blessures n’en finit plus.
Traumatisme crânien, plaie ouverte au visage, tassement des vertèbres, fracture d’une cervicale et de la clavicule, le bassin est touché, la cuisse gauche aussi. Le vélo n’est plus qu’un souvenir. D’ailleurs le médecin ne tourne pas autour du pot « Mr Achille, le vélo, pour vous c’est fini ». Désormais prisonnier d’un corset, j’enchaîne les mois d’immobilisation sur un lit de douleur. Je suis aujourd’hui âgé de 32 ans et papa d’Enzo (9 ans) et Zachary (9 mois), je pratique la compétition depuis l’âge de 6 ans, mais après l’accident, il faut tout reprendre à zéro.
A commencer par retrouver gestes et réflexes pour marcher. Tout réapprendre et aussi vivre avec la douleur dans la tête et les membres.
Ma vie est faite de séances de rééducation et de visites chez les spécialistes. Pour noircir un peu plus le tableau, je perds mon travail et pas mal d’illusions. Mon « adversaire » du fourgon, comme disent les P.V. d’accident, je l’ai aperçu une seule fois entre deux portes au Tribunal.
Toutes mes tentatives pour retrouver une activité professionnelle se fracassent sur ce corps réfractaire à tout effort physique. Et chaque matin, une obsession m’envahit l’esprit « est-ce que j’aurai mal aujourd’hui ?»
A mes proches qui m’interrogent sur mon état, je réponds à côté de la question pour dissimuler le mal, physique bien sûr, et mal-être aussi.
Mon entourage vit au rythme de mes hauts et de mes bas. De ces années de galère, je relève un manque de compréhension de la part de ceux qui doivent évaluer ma situation. Comme s’il n’était pas donné à tout le monde de se glisser dans la peau d’une victime.
Dans les bons jours, j’enfourche tout de même le vélo pour une prudente escapade, à cent lieues de la compétition d’avant. Une heure de balade à tout casser, jusqu’à ce que la douleur siffle la fin de la récréation. Pourtant le vélo, je le garde, chevillé au corps. Depuis deux ans, je nourris l’ambition de faire partager mon expérience aux jeunes coureurs en leur prodiguant conseils et formation. Ainsi leurs futurs lauriers seront aussi un peu les miens. « Dans ma convalescence, je suis un soldat en guerre ».
Grégory ALLIONE
Contrôleur général, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de FranceGrégory ALLIONE
Contrôleur général, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de FranceLorsque nous réalisons des interventions en secours routier, nous sommes fréquemment confrontés à des drames. Le plus souvent, à des drames familiaux. En tant que sapeurs-pompiers, nous sommes les premiers témoins du malheur qui peut s’abattre sur une famille, notamment lorsque nous prenons en charge des victimes gravement blessées dont nous ne connaitrons pas l’issue. Nous ressentons la peine, la douleur.
Il me reste en mémoire des images, des odeurs, des voix qui me viennent d’interventions passées. Je me souviens encore d’une intervention : celle d’une famille violemment percutée en voiture dont la maman, conductrice, est morte sur le coup, et dont le père que j’entends encore gémir, est mort le lendemain. Je me souviens de cet accident de plus, de cet accident de trop, qui a fait de ses deux seuls rescapés des orphelins. Ces deux enfants allaient à l’école dans une commune non loin de là, à la même école que les enfants de mes amis. Il y a malheureusement tant d’autres accidents comme celui-ci, qui peuvent arriver n’importe où, n’importe quand et toucher n’importe qui : vous, vos proches, vos voisins.
En tout état de cause, les sapeurs-pompiers de France ne peuvent être que favorables à une meilleure sécurité routière. Quand nous connaissons les circonstances des accidents sur lesquels nous intervenons, nous trouvons révoltant qu’un mauvais comportement ou qu’une simple inattention soient à l’origine d’un nouveau drame. Lorsque l’on intervient sur ce genre de scène, c’est bien souvent la fin d’une histoire qui se dessine devant nous. Or cette histoire, elle mérite d’être réécrite.
Je pense que l’on fait déjà beaucoup en termes de prévention sur les risques routiers, mais peut-être pas assez au niveau de l’éducation des enfants. Aujourd’hui, les nouveaux outils de mobilité, accessibles à tous, augmentent les risques sur l’espace routier. On doit faire comprendre aux plus jeunes que la route – qu’elle soit empruntée en voiture, à vélo, à trottinette ou autre engin motorisé – renferme un terrible danger. Tous les comportements, qu’ils soient à bord ou à proximité d’un véhicule, sont importants.
Nous ne le dirons jamais assez : la fatigue, la vitesse, l’alcool, les drogues ou les écrans ne pardonnent rien. Malgré les mesures préventives et punitives, la route continue à prendre des vies. Les conducteurs doivent intégrer l’idée que la route peut rapidement devenir une arme contre les autres et contre soi-même. Si pour cela, il faut choquer les esprits, n’hésitons pas. Choquer par l’image, par les mots, pour faire comprendre ce que ressentent les victimes, leurs proches, ou encore les sapeurs-pompiers et les personnels des services médicaux d’urgence qui sont las de voir des vies se briser à intervalles réguliers.
A vous qui allez secourir les victimes d’un premier drame, ne confondez pas vitesse et précipitation. Aux conducteurs, respectez-vous, respectons-nous. Bannissons ensemble les comportements irrationnels et dangereux sur les routes.
El Mostefa AMARA
Victime d’un accident de la routeEl Mostefa AMARA
Victime d’un accident de la routeLe jour de mon accident tout a changé
à cause de quelqu’un qui était drogué.
Il faut arrêter la drogue et la vitesse
c’est à cause de ça que la voiture
du monsieur est venue percuter la nôtre.
Je veux dire à tous les jeunes qui ont un fauteuil :
la vie n’est pas finie !
Il y a encore tellement de choses à faire.
On peut aller à la piscine.
On peut manger le bon couscous de maman.
On peut faire du sport et rencontrer des copains.
On peut encore espérer…
Dylan BARITEAU
Victime d’un accident de la routeDylan BARITEAU
Victime d’un accident de la routeJ’ai été victime d’un accident de trottinette électrique dans la nuit du 23 au 24 octobre 2020.
Je ne portais pas de casque, j’ai eu un traumatisme crânien avec un hématome sous dural qu’il a fallu extraire d’urgence.
Ce soir-là, par chance, deux jeunes sapeurs-pompiers volontaires se baladaient et m’ont porté secours.
Je suis resté un mois à l’hôpital de Laval, en Mayenne, pour ma rééducation et j’ai ensuite continué les séances de rééducation en hôpital de jour jusqu’en février 2021.
Aujourd’hui j’ai encore des séances de kiné une fois par semaine, pour faire travailler ma jambe droite touchée dans l’accident.
Durant toute la période de mon accident j’ai eu la chance d’être soutenu par ma famille et surtout par mon conjoint.
Aujourd’hui j’ai très bien récupéré mais j’ai toujours ce regret de ne pas avoir porté de casque ce soir-là. Par souci d’esthétisme, parce qu’on trouve bêtement que ça nous rend ridicule, on pense que ce n’est pas nécessaire. La vérité est que ça sauve des vies et aujourd’hui c’est le message que j’aimerais faire passer.
Je tiens à remercier mes thérapeutes (Élise, Héloïse, Séverine, Justine, Marion, le Dr Jouan) pour leur accompagnement durant toute ma rééducation. Merci aussi à ma sœur d’avoir fait le déplacement pour être auprès de moi et un immense merci à mon conjoint pour avoir été à mes côtés quotidiennement.
Merci à mes amis, mon entourage pour la force que vous m’avez donnée.
Il est important de rendre hommage à ceux qui se battent à nos côtés, à nos proches, à la famille. Ils subissent aussi les dommages, les craintes, les peurs de ne pas vous revoir vivant ou de vous voir dans un état grave.
Un accident n’implique pas uniquement la victime directe…
Le champ de dévastation s’étend bien au-delà.
Prenez soin de vous, prenez soin des autres et soyez vigilants.
Nadège BATBY
Présidente d’une association d’aide aux victimesNadège BATBY
Présidente d’une association d’aide aux victimesConfrontée personnellement au drame de l’accident de la route, face à l’injustice éprouvée, à la mauvaise prise en charge, j’ai souhaité soutenir les victimes et les accompagner tout au long du chemin sinueux qu’est la réparation. Le parcours est long, semé d’obstacles et d’incompréhension.
En réponse, j’ai décidé d’apporter mon aide à une structure bénévole d’aide aux victimes pour contribuer à parfaire cet accompagnement souvent déconnecté de la réalité vécue.
Le rôle de cette association est d’écouter et de conseiller les victimes et leurs familles afin de leur éviter des souffrances et des épreuves supplémentaires.
Chaque cas est douloureux, il est impossible de demeurer insensible mais la vie brisée ou volée d’un enfant provoque un sentiment d’injustice encore plus exacerbé. Il reste en écho le témoignage d’une mère dévastée, d’un père ravagé, par la disparition de leur enfant.
A cet instant le sentiment d’impuissance prend le pas, enveloppe tout, les mots ne suffisent plus. « Perdre un enfant c’est un tourment qui ne finit pas, un poids qui n’écrase pas les épaules mais, plus insidieusement, pèse à l’intérieur de nous-même et enserre le cœur. » (Jean-Paul Dubois)
Ces blessures béantes, qui ne cicatriseront jamais, que rien ni personne ne refermera, doivent appeler toutes les consciences à réagir. Je suis convaincue qu’il est possible, ensemble, d’éviter d’en ouvrir de nouvelles en responsabilisant et en sensibilisant les adultes mais aussi les plus jeunes parce qu’il n’y a rien de plus tragique que ce chiffre [102] de l’année 2019.
Marie BELLEN ROTGER
Avocate spécialiste en réparation du dommage corporelMarie BELLEN ROTGER
Avocate spécialiste en réparation du dommage corporelEn tant qu’avocate, depuis plus de 20 ans maintenant, j’assiste des personnes blessées et leurs familles. Cela commence à faire beaucoup de dossiers, beaucoup de parcours de vie que j’ai modestement, et pour ce qui relevait de ma compétence, accompagnés pendant plusieurs mois voire plusieurs années. Cela représente aussi beaucoup de douleurs et de souffrances, beaucoup de tristesse, beaucoup de colère que j’ai partagées, absorbées, transmises.
Il y a des visages et des noms que j’ai oubliés, mais il y en a qui ne m’ont jamais quittée : ceux des enfants et des adolescents qui ont perdu la vie, ou dont la vie a été fauchée par la route…
Je peux décrire pour tous leur histoire, celle de leur accident, celle des proches qui ont dû faire face à l’indicible…
J’ai rencontré des conducteurs trop pressés, fatigués, distraits, trop confiants, alcoolisés, embrumés, imprudents, inconscients, beaucoup trop !
Je pense très souvent à ces enfants. J’y pense quand je vois un enfant qui traverse la rue, j’y pense à la sortie de l’école, j’y pense quand je croise un vélo ou un scooter, j’y pense en passant devant les terrasses des bars, j’y pense quand je traverse un village ou conduis sur une petite route de campagne… J’y pense quand je dois laisser partir mes propres enfants…
Je pense à Raphaël, à Blandine, à Julia, à Julien, à Valentin, à Lisa, à Lou, à Terry, à Ayoub…..
Je me demande ce qu’ils seraient devenus, ce qu’ils sont devenus, comment se portent les parents, les grands-parents, les frères, les sœurs, les amis… Je me dis que mon rôle éphémère a souvent été bien dérisoire. Je me dis qu’ils sont tellement courageux. Je me demande comment on peut reconstruire et se reconstruire, comment vivre sans, comment vivre avec… Je me pose beaucoup de questions qui n’ont pas de rapport avec le droit. Et je peste contre le droit qui me parait parfois une réponse tellement insuffisante, tellement inadaptée, tellement lente, tellement vaine….
Je pense qu’on ne fait pas ce qu’il faut pour eux. Il n’y a pas assez d’information, pas assez de prévention, il n’y a pas assez d’accompagnement, pas assez de reconnaissance.
Pour moi, la sécurité routière devrait être un enseignement à part entière. Les campagnes de prévention devraient être renforcées, et les sanctions infligées aux responsables devraient intégrer un aspect restauratif.
En attendant, je tente d’œuvrer autour de moi pour faire prendre conscience des risques de la route, aux jeunes et aux moins jeunes, quitte à rabâcher…
Isabelle BERNARD
Educatrice spécialiséeIsabelle BERNARD
Educatrice spécialiséeMême si j’ai du mal à parler de mon vécu, je peux déclarer que le métier d’éducatrice spécialisée apporte énormément au quotidien.
Je suis au service de la personne que j’accompagne et j’y mets tout mon cœur, toutes mes forces. Je travaille au GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) depuis septembre 2018 et malgré ma longue expérience, je constate chaque jour que les adhérents que j’accompagne, qui n’ont pas toujours eu la vie facile, sont des modèles de courage et de volonté.
Mon rôle est d’écouter tous les mots et les maux de ces personnes, de les comprendre, de donner du mouvement à leur rythme de vie chamboulée, et d’animer des activités.
Tous les jours, au GEM, mon travail est différent. J’apporte aux adhérents que j’appelle aussi les « gémeurs », une écoute, un avis, un conseil, une valorisation de leur travail et parfois juste un sourire, mais qui veut dire beaucoup et qu’ils savent interpréter.
J’accompagne des personnes qui ont eu un accident de la route, du travail, … Je suis en face de personnes en situation de handicap, aussi bien moteur que psychologique. Le « sans filtre » de certains fait du bien. Et le combat qu’ils mènent est très souvent source d’inspiration.
Je suis passionnée, je me donne à fond, et quand je constate des évolutions positives même minimes, elles deviennent de grandes victoires pour les gémeurs mais aussi pour moi. Ils m’apportent énormément.
Tous ces partages au quotidien de joie, de pleurs, de réussite, … créent une relation de confiance qui nous permettent d’avancer. La vraie spécialisation est dans la gestion de la relation : comment accompagner un gémeur qui ne peut s’empêcher de se demander pourquoi moi ? C’est dans la relation que je construis avec eux, au quotidien, qu’il reprenne en main leur chemin. Et c’est le cas avec toutes les parties prenantes qui les accompagnent. Une relation de confiance établie permet au gémeur d’avancer sur sa nouvelle route mais aussi à l’accompagnant de puiser une force insoupçonnée. C’est dans la relation que l’un et l’autre, nous grandissons.
Frédéric BIBAL
Avocat droit du dommage corporel, conférencierFrédéric BIBAL
Avocat droit du dommage corporel, conférencierIl m’arrive parfois, comme avocat en droit du dommage corporel, d’assister la famille d’un jeune enfant tué dans un accident de la route.
Que dit le droit ? Voilà plusieurs décennies que notre droit proclame, même en ce cas, un principe de réparation intégrale. Evidemment ce principe renvoie à l’ absurde. Il renvoie même à l’insupportable. Comment le droit peut-il, face à cette souffrance, face à la mort, prétendre réparer ce que toute la science des hommes a échoué à éviter ?
L’affirmation d’une réparation intégrale peut sans doute être prise comme une aberration, voire un scandale, une prétention insupportable de quelques juristes fous et vaniteux. Taisez vous les assureurs, taisez vous les avocats, taisez vous les juges, vous ne réparez rien, ni la blessure, ni la souffrance, ni encore moins la mort.
Et pourtant. Et pourtant je pense à vous, maman effondrée, grands frères hagards, je pense à vos regards embués dans l’intimité de mon bureau lorsque j’ai osé vous dire, alors que votre petite enfant, votre petite sœur est morte, que le droit et la justice voulaient réparer cela.
Oui j’ai osé vous le dire. J’ai osé vous le dire après avoir entendu le récit terrible de cette nuit d’enfer, vous cinq en voiture, sur le chemin du retour d’un bon week-end en famille, les deux jumeaux de dix ans et leur petite sœur de trois ans à l’arrière, papa au volant, maman à côté, il est minuit, sur l’autoroute, des phares qui aveuglent, une voiture à contresens, et puis le grand fracas, maman blessée, les garçons blessés, papa mort, petite fille morte.
Petite fille morte entre tes frères, petite fille morte avec ton père, petite fille morte et la douleur de ta mère si forte, et moi je dis que le droit veut réparer, je le dis Madame en vous regardant droit dans les yeux, et je devrais avoir honte mais je n’ai pas honte.
Je n’ai pas honte parce que la mission que vous pouvez me confier, à moi petit homme du droit, la mission que nous donne la loi, c’est de vous permettre de vivre debout, dans la société, cette expérience de l’absurde infini de la mort. Si la Justice donne acte de votre souffrance, si elle prétend l’évaluer, la jauger, l’indemniser, ce n’est pas pour rendre en argent l’infinitude inestimable de ce que vous a pris cette violence routière.
C’est seulement pour vous permettre, à vous et à vous seuls, vous la maman, vous les frères, de faire un jour, quand vous le pourrez, si vous le pouvez, un choix concret, effectif, mesurable, payable, un choix qui vous appartiendra, et qui sera intimement et indissolublement lié à l’absurde de cette mort.
Et c’est ce choix qui dira concrètement que la vie, dans la société, existe encore malgré cette mort inacceptable.
Dans votre vie, vous la maman, vous les frères, par ces indemnités, il y aura un don, un achat, un projet, ou même un refus de faire quoi que soit, qui de toute façon dira qu’à cette mort a succédé un choix de femme et d’hommes vivants. Et le droit, en vous donnant les moyens de ce choix ou de ce non choix, aura prouvé, à sa toute petite échelle humaine, que la vie, votre vie aura eu dans notre société le dernier mot.
Marie BORDEAU
Victime d’un accident de la routeMarie BORDEAU
Victime d’un accident de la routeLe 1er février 2005, 7h30, je descends de la voiture de Maman pour aller à l’école. « Maman, dans 20 jours, j’aurai 13 ans ! A ce soir ! Je t’aime » Je ferme la porte de la voiture et rejoins le passage piéton.
Ce jour-là, je n’irai pas à l’école.
Le petit bonhomme est vert, je traverse et tout va très vite… Un phare, un bruit sourd de voiture, je roule, le bitume est si froid… Ma jambe gauche me fait très mal, elle est en sang, je comprends que c’est très grave.
Je ne sens plus ma jambe. Je ne pleure pas, je veux que Maman soit là. Les pompiers s’occupent de moi, j’entends Maman au loin « C’est ma fille, laissez-moi passer, je veux la voir ». Je fonds en larmes en voyant la peur dans ses yeux. Je suis emmenée à l’hôpital. Papa nous y rejoint. On voit l’articulation de mon genou, mes dents de devant sont cassées, j’ai mal à l’épaule, j’ai perdu la moitié de mon mollet. Je suis opérée en urgence. Le lendemain, j’apprends que j’ai été percutée par un poids lourd de 35 tonnes. Le chauffard a été arrêté. Au début, nous ne savions pas si j’allais garder ma jambe. Ma peau « repousse » très peu et se nécrose. Je passe 1 mois à l’hôpital de Bourg-en-Bresse, puis à l’hôpital des grands brûlés de Lyon pour une greffe de peau.
Il faut préparer ma jambe. Je suis transfusée car je suis faible, les anesthésies me fatiguent, mais Maman est là, même si elle pleure beaucoup…
Le 11 avril 2005, me voilà greffée, direction le centre de rééducation. Je ne veux pas y aller, je veux rentrer à la maison, retrouver ma mamie Jacqueline qui s’est installée chez nous depuis mon accident, mon grand frère et mes copines de classe. Après 2 semaines d’hospitalisation au Centre, je peux enfin rentrer à la maison. 4 mois après mon accident, je marche sans béquilles mais le regard des autres me fait très mal. On me regarde avec dégoût et insistance. Je ne veux plus porter de shorts, j’ai de la colère, je veux retrouver une jambe normale, que tout redevienne comme avant, mais c’est impossible… Le retour en arrière n’existe que dans les films. Les soins se terminent fin 2007, mais je dois attendre de finir ma croissance avant d’envisager une reconstruction de ma jambe.
Je poursuis donc ma vie presque normalement avec un Bac Pro et un BTS d’assistante de gestion. Je passe mes examens avec un bidon tout rond puisqu’un petit bonhomme naîtra mi-octobre 2014.
En novembre 2015, je revois Jean-Pierre, mon chirurgien de confiance.
« Marie, j’ai une bonne nouvelle, on va pouvoir passer à l’étape suivante ».
Il m’annonce qu’une greffe de graisse est possible ! Il s’agit d’une liposuccion des cellules graisseuses vivantes pour les injecter dans mon mollet et lui faire prendre du volume pour retrouver une forme presque similaire à ma jambe droite. Je pleure de joie, de soulagement. J’ai tellement hâte !
Le 21 janvier 2016 arrive, je suis opérée. En salle de réveil, mon premier réflexe est de vouloir voir ma jambe mais il y a un gros pansement. Mon chirurgien me dit que tout s’est bien passé. Ma jambe a repris du volume, c’est merveilleux !
Gaël BORDET
RomancierGaël BORDET
RomancierVoici une vague qu’aucune force contraire ne pourra empêcher de déferler. Ni les tourments de la vie, ni ses drames, ni ses effondrements.
Voici la Vague de l’amour, un cœurs à corps d’une tendresse et d’une puissance sans commune mesure, fondues dans le bronze, le père soutenant la mère et leur enfant tout en les embrassant avec vigueur.
Tous trois ne forment plus qu’un, et pourtant à bien y regarder chacun se détache comme pour mieux figurer encore le mystère de la vie.
Elise BOSSOGUENO
Assistante de service socialElise BOSSOGUENO
Assistante de service socialTrop de voitures sont devenues des armes.
En volant 102 vies d’innocents, 102 enfants errant dans les services de réanimation chirurgicale.
Pour finalement 102 visites dans les funérariums, 102 projets de vie parentaux envolés.
La puissance de l’irréversibilité et de la vulnérabilité représentée par toutes ces violences, assassinant également les auteurs, survivants, témoins et tous les professionnels liés à ces accidents.
Nous voilà tous confrontés à une réalité impensable. Comment dire ? Comment penser ? Comment avancer ? Comment aider pour apaiser, accompagner, trouver un sens, dans cette folie ?
Les silences, les colères, les souffrances, la culpabilité et même la honte se mêlent et s’entrechoquent pour les familles, les aidants, la société…
Pour laisser place à l’éveil et la conscientisation, pour ces 102 étoiles dans le ciel.
Roséane BOSSOGUENO
Jeune fille non victime de la routeRoséane BOSSOGUENO
Jeune fille non victime de la routeL’enfance, l’adolescence. Ces âges au cours desquels on se dessine, se découvre, se confronte. Ces périodes au cours desquelles chacun de nos mouvements et ceux de notre environnement résonnent infiniment au sein de notre jardin. Des fleurs s’y ouvrent et s’y fanent au rythme des échos, se colorent et se forment aux battements du cœur. Nos racines se détachent et se rattachent progressivement. Un monde que le façonnage perpétuel rend flamboyant, sublime, impressionnant par son imprévisible et vulnérable croissance.
Si soudainement, 102 enfants et adolescents ont quitté leur monde, en suspens. Laissant derrière eux un élan de vie, de rêves, d’espoir, d’avenir ; inachevé. Marquant leur absence de façon indélébile. Faisant traîner un fil liant le concerné à son entourage. Ce fil, à la fois tendu et encore en construction, dont la rupture laisse les restants valser, errer à la recherche de leurs disparus.
Les 102 personnes auxquelles nous rendons aujourd’hui hommage, sont malheureusement de celles qui n’ont pas pu entièrement observer la floraison de leur jardin. De celles qui n’ont pas tissé leur toile aussi loin qu’elles le souhaitaient. De celles qui n’ont pu ressentir l’étendue de leur racine, ou encore faire croître leur végétation au plus près des cieux.
Pour autant, nous apprécions, contemplons, admirons tout ce qu’elles ont germé jusque-là. Mais Ô comme nous aurions aimé les voir s’accomplir sur cette Terre, les y voir grandir et s’épanouir.
Imaginez-vous alors, à quel degré ce tiraillement palpable entre l’inconsolable tristesse et l’espoir insatiable d’en sortir déchire les proches de défunts. Nous vous rendons aussi hommage, à vous les combattants quotidiens, qui luttent tous les jours pour avancer malgré le poids et la vanité qui pèsent sur vos cœurs à chaque instant.
C’est pour nous tous, qui pourrions potentiellement être victimes de ces accidents, ou encore proches de victimes, que nous levons nos stylos aujourd’hui. Que nous sensibilisons sur les dangers si soudains de la route, qui nous privent trop tôt d’instants de vie si précieux, fragiles et constructifs, qu’ils soient solitaires ou solidaires.
Claude BOULANGER REIJNEN
Victime d’un accident de la route et enfant d’une victime décédée suite à ce même accidentClaude BOULANGER REIJNEN
Victime d’un accident de la route et enfant d’une victime décédée suite à ce même accidentEn cette jolie matinée du 27 juin 2008, maman tu me tenais la main. Nous nous promenions ensemble comme chaque matin pour reprendre la marche, tranquillement en tant que piétons.
A nos sourires et curiosités dans ces passagères déambulations.
Puis, une voiture nous a fauché nos espérances.
Il faisait beau temps, l’été approchait, le ciel s’est assombri.
Depuis ce temps, tu me tiens toujours la main et mon cœur y croit.
Ici sur terre, trop de flambeaux de tristesse, mais des joies aussi depuis.
Tu me tenais par la main, tu es partie parmi les étoiles, parmi les enfants aussi.
Là-haut je n’y suis pas allé avec toi, et les jeunesses effacent nos détresses.
Pour tous les enfants partis, pour toutes les mamans, que les étoiles nous caressent.
Mères, l’enfant qui joue à votre seuil joyeux
Mères, l’enfant qui joue à votre seuil joyeux,
Plus frêle que les fleurs, plus serein que les cieux,
Vous conseille l’amour, la pudeur, la sagesse.
L’enfant, c’est un feu pur dont la chaleur caresse ;
C’est de la gaîté sainte et du bonheur sacré,
C’est le nom paternel dans un rayon doré ;
Et vous n’avez besoin que de cette humble flamme
Pour voir distinctement dans l’ombre de votre âme.
Mères, l’enfant que l’on pleure et qui s’en est allé,
Si vous levez vos fronts vers le ciel constellé,
Verse à votre douleur une lumière auguste ;
Car l’innocent éclaire aussi bien que le juste !
Il montre, clarté douce, à vos yeux abattus,
Derrière notre orgueil, derrière nos vertus,
Derrière nos malheurs, Dieu profond et tranquille.
Que l’enfant vive ou dorme, il rayonne toujours !
Sur cette terre où rien ne va loin sans secours,
Où nos jours incertains sur tant d’abîmes pendent,
Comme un guide au milieu des brumes que répandent
Nos vices ténébreux et nos doutes moqueurs,
Vivant, l’enfant fait voir le devoir à vos cœurs ;
Mort, c’est la vérité qu’à votre âme il dévoile.
Ici, c’est un flambeau ; là-haut, c’est une étoile.
Les rayons et les ombres (1840), Victor Hugo.
Florence BOYER
Avocat spécialiste en réparation du dommage corporelFlorence BOYER
Avocat spécialiste en réparation du dommage corporelLa mort ou le délabrement de la vie d’un enfant, c’est un séisme qui engloutit la victime mais qui fracture aussi tout le paysage qui l’entourait.
Parce qu’un enfant est inabouti : il tient encore à ceux dont il vient ; il n’est toujours pas devenu ce qu’il sera.
En l’atteignant, en le meurtrissant, c’est un continent que l’on ébranle : un passé et tout un possible ; et le grondement du séisme désaccorde notre harmonie et brise les piliers de notre vie quand il ne nous engloutit pas à notre tour.
Tout cela je l’ai vu dans les yeux, dans le corps des parents de jeunes victimes que je recevais.
Pourquoi ces face à face étaient-ils si douloureux, au bord de l’insoutenable, plus éprouvants encore que les autres tragédies que nous côtoyons.
Qui sommes nous, nous avocats, devant eux, déchirés, perdus ?
Pourquoi sont-ils devant nous pour un recours en indemnisation ?
Mais c’est absurde, dérisoire, presque indécent.
« Indemniser » qui, quoi, par quelle magie ?
Ils ne seront jamais « indemnes » de cette perte.
« Ce deuil vous dit que vous habitez dorénavant hors du monde, hors du temps, dans un lieu duquel on ne revient pas. La mort d’un enfant vous condamne à l’exil sur une terre que personne ne peut visiter… »
Delphine Horvilleur in Vivre avec les morts.
Alors comment les accueillir ces parents exilés ?
Notre compassion nous rend vulnérables, notre distanciation – si nous y parvenons – peut les blesser et nous les aliéner.
Nous éprouvons pourtant la nécessité de les aider, de nous charger pour les en alléger un peu du poids qui les étouffe.
Alors si nous ne pouvons, aux termes d’un recours, leur offrir qu’une compensation monétaire, intolérable violence face à l’aridité du désert de l’absence, au moins pouvons-nous les assurer tout au long du chemin qui mène à cette indemnisation de notre présence constante, attentive, empathique qui pourrait les conduire vers un ailleurs plus apaisé.
Sylvie BOZONNET
Aide médico-psychologiqueSylvie BOZONNET
Aide médico-psychologiqueMon rôle de soignante et d’aidante auprès de personnes dépendantes ou porteuses de handicap, est dense. Mais je constate chaque jour à quel point ce travail est fondamental dans le processus de reconstruction des personnes que j’accompagne. Accompagner le traumatisme, l’après accident, est indispensable, tant sur le plan médical que psychologique.
La variété des blessures à laquelle je dois faire face, et le plus souvent appréhender, me demande une adaptation permanente. Cela implique un engagement professionnel profond, durable, de chaque instant.
Les personnes dépendantes sont fragilisées et demandent une aide dans les actes de la vie quotidienne, des exigences de soins, et il est indispensable de prendre en compte leurs habitudes, leur confort. Certains gestes que nous faisons tous les jours et qui nous paraissent évidents, deviennent complexes. Au-delà du geste, vient alors l’accompagnement dans l’acceptation. Je suis également en contact avec les différents acteurs médicaux afin d’être au courant, de l’évolution de leur situation.
Au-delà de ce versant, mon rôle est également de veiller à l’intégrité de la personne. Qu’elle ne perde pas l’estime d’elle-même, qu’elle ne s’isole pas, qu’elle affronte le monde extérieur, qu’elle accède à ses envies, qu’elle conserve son libre choix, …
Aussi, il me tient à cœur d’être en contact avec les familles des personnes à soutenir afin que le handicap soit le moins possible une faiblesse et se transforme, quand cela est possible, en une force pour avancer et vivre ensemble.
Christine BRÉHIER
Victime d’un accident de la routeChristine BRÉHIER
Victime d’un accident de la routeÀ 5 kms de chez nous, c’est l’accident « bête ».
Un ami me demande de conduire sa nouvelle voiture. Je prends le volant pour lui faire plaisir.
Et puis, sur le retour, dans un virage, nous sommes percutés par un véhicule anglais, conduite par un automobiliste qui circulait sur le côté gauche.
Sur le mauvais côté…
Il nous percute et nous écrase littéralement. Puissance de frappe : 5 tonnes (calcul effectué par les assurances).
À partir de ce jour-là, ma vie a basculé. J’ai été licenciée deux fois pour inaptitude totale et définitive. C’est pour moi des drames supplémentaires, comme si j’étais victime une deuxième fois. Après mon premier licenciement, j’ai été mise en invalidité seconde catégorie mais ce statut m’a été ôté au bout de deux ans… Je n’ai pas compris.
Reprendre sa vie professionnelle après ce lourd parcours d’accidentée est très compliqué. Rien n’est vraiment prévu pour vous accompagner dans la reprise en main de votre
« nouvelle » vie. Je ne pouvais pas retrouver ma vie d’avant l’accident et je ne trouvais pas le moyen de m’en construire une nouvelle, du moins sur le plan professionnel.
J’ai pourtant fait plusieurs formations afin de remettre à niveau « mon cerveau » : 55 interventions chirurgicales vous transforment et font que vous vous remettez en question régulièrement.
J’ai finalement réussi à donner un sens à mon quotidien grâce à des associations et diverses activités. Et puis j’ai également trouvé une nouvelle énergie en aidant des personnes qui ont besoin d’être orientées dans leurs démarches : accident, handicap, assurance, travail… Je les guide en ayant connu, le plus souvent, les étapes et les obstacles qu’ils ont à franchir.
Quel bonheur de pouvoir à mon tour aider les autres. Cela me permet de m’accrocher et de mettre un pied devant l’autre, même si certains jours je n’y arrive pas.
Je dois beaucoup croire en la vie qui reste présente en moi. Et je veux beaucoup y croire. Je ne dois rien lâcher, même si de nouvelles interventions arrivent, mais je vais y arriver, on va tous y arriver.
Dominique BUSSEREAU
Président honoraire du Département de la Charente-Maritime et de l’Assemblée des Départements de France, Ancien MinistreDominique BUSSEREAU
Président honoraire du Département de la Charente-Maritime et de l’Assemblée des Départements de France, Ancien MinistreQuand vous êtes aux responsabilités, chaque drame de circulation routière rencontré vous ramène à la même question : comment aurait-on pu l’éviter ? Nous établissons les facteurs accidentogènes, nous connaissons les routes, nous avons des courbes et des croquis. Et cependant les bilans imparfaits, quoiqu’ encourageants, s’égrènent d’année en année. Doit-on pour autant baisser les bras ? Evidemment non.
Décrétée grande cause nationale par le Président Chirac lorsque j’étais au Gouvernement en charge des transports, la sécurité routière ne cesse d’étoffer l’efficacité de ces dispositifs de prévention et de dissuasion. Quand on traque le dépassement de vitesse, on s’attaque en réalité aux 15% des causes d’accident sur la route. Lorsqu’on dissuade les fêtards de prendre la voiture, c’est parce qu’on sait que l’alcool et les stupéfiants en représentent à eux seuls 30%. Et si les radars balisent les points chauds de notre réseau routier, c’est parce que la vitesse excessive est responsable de 10% des collisions tragiques.
La route comporte des risques, le premier étant de considérer la liberté qu’elle permet comme une promesse d’invulnérabilité. Agir sur les comportements est donc au cœur des politiques menées par les pouvoirs publics. La Sécurité routière est l’affaire de tous et en Charente-Maritime, le Département et l’Etat avancent main dans la main au travers du Plan départemental d’actions de sécurité routière annuel. Ce sont les recommandations pour développer l’éducation à la sécurité routière en milieu scolaire, des solutions pour accompagner la conduite des seniors, des programmes pour diminuer le risque routier professionnel.
Bien communiquer sur ces sujets participe de cette politique préventive. Les risques se cachent dans les détails et il n’y a pas de précautions désuètes. Rappeler « qu’à vélo comme au volant, on respecte le code de la route », que « tout cycliste doit s’équiper la nuit pour voir et être vu » sont d’ailleurs des slogans qui ont fait l’objet d’une grande campagne d’affichage initiée par le Département et la Préfecture. D’autant plus que le développement des mobilités douces entraîne une implication exponentielle des 2 roues dans les accidents.
Bien conduire est une politesse en somme, que l’on s’applique à soi-même et à ceux que l’on ne fait que croiser sur son chemin.
Frédérique CALANDRA
Déléguée interministérielle à l’aide aux victimesFrédérique CALANDRA
Déléguée interministérielle à l’aide aux victimesSi la France s’est dotée d’un Délégué interministériel à la Sécurité routière dès 1972, d’une législation sur le permis à points ou encore du port obligatoire de la ceinture, la prise en compte des victimes relève d’une approche nécessairement centrée sur les besoins des familles éprouvées lors d’un drame de la route. En tant que Déléguée interministérielle à l’aide aux victimes, j’ai ainsi la charge de coordonner la politique publique d’aide aux victimes, en lien avec les travaux des différents ministères, parmi lesquelles les victimes de la route sont malheureusement encore trop nombreuses. J’ai reçu plusieurs familles de victimes qui ont été frappées par de tels drames et qui souvent touchent des enfants. J’ai ainsi conscience de toutes les difficultés administratives, judiciaires et bien évidemment psychologiques auxquelles font face les parents et les proches de ces victimes. Leurs parcours « d’après » sont parfois un traumatisme supplémentaire.
Améliorer la prise en charge et le suivi des familles, chaque jour, quelle que soit la situation, est capital. Nos préoccupations sont tournées tant du côté des démarches liées au décès que vers l’information aux familles. Il nous reste encore des progrès à faire, je le mesure. Notre vigilance autour de l’information des familles doit être renforcée : annoncer un décès, prévenir de la pratique d’une autopsie judiciaire et expliquer à la famille en quoi cela est important dans le cadre d’une enquête, accompagner les proches lors de la présentation du corps, s’assurer que les dernières volontés du défunt puissent être respectées malgré les contraintes de l’enquête, organiser la restitution des effets personnels dans de bonnes conditions…
Attentive aux actions menées à l’égard des victimes des accidents de la route, je veux souligner le rôle indispensable des associations de victimes et des associations d’aide aux victimes dont un grand nombre est subventionné par le Ministère de la Justice, qui œuvrent quotidiennement au niveau local. Soutien psychologique comme juridique, missions d’entraide, de solidarité, mais également de prévention et de mémoire, le rôle de ces associations est majeur pour les victimes et leurs familles.
Animée par cette même volonté de répondre aux besoins des familles, nous travaillons avec mon équipe à identifier et à promouvoir voire à généraliser, les bonnes pratiques permettant d’accompagner les familles au mieux dans le temps, et de prévenir les conséquences dévastatrices d’une prise en charge insuffisante sur le plan psychotraumatique.
Enfin, le témoignage faisant œuvre de mémoire, je pense à tous ces enfants partis dans des circonstances tragiques, et je salue la dignité et le courage de toutes ces familles qui, malgré leur douleur, tiennent debout et se battent pour sensibiliser aux dangers de la route en faisant avancer, par leur action collective, la cause de toutes les victimes.
Ginette CHABOSI
Mère d’une victime décédée en juillet 1994Ginette CHABOSI
Mère d’une victime décédée en juillet 1994La maison a gardé le souvenir
De tes rires bruyants
De ta joie débordante
Et de tes amours tristes.
Tu étais si heureux,
Tu le faisais savoir
Mais souvent, ton cœur était en désespoir.
Prétendre au bonheur
C’était une chimère.
Tu cherchais toujours plus.
Pour toi, tout s’achevait
Comme s’achève un rêve.
Ton rire si vivant
Reprenait le dessus
Et tout recommençait.
La quête du bonheur
N’était pas un vain mot.
L’amour avait de nouveau
Illuminé ton cœur,
Apaisé tes colères
Mais tout s’est achevé
Comme s’achève un rêve.
Nous laissant éperdus de chagrin
Pensant sans cesse à toi
Nous rappelant tes frasques
Tes grands coups de colère
Ton affection fantasque
Ton immense tendresse
Pour nous, tes sœurs, ton frère
Pour Betty qui fut ta confidente
Pour Fanny qui fait
Un si joli sourire et un petit bisou
A ce tonton joyeux
Qu’elle ne connaîtra pas.
La voix de David qui te ressemble tant
Nous rappelle parfois que tu es
Toujours là, partout, quoique l’on fasse
Et pourtant, rien ne pourra jamais
Dans nos cœurs, effacer ton absence.
Lionel CHAUVEAU
Victime d’un accident de la route, intervenant départemental de la Sécurité routièreLionel CHAUVEAU
Victime d’un accident de la route, intervenant départemental de la Sécurité routièreLumières… Il y avait cet horizon dans la nuit au milieu de laquelle un phare appelait. Les navires faisaient route sur Ouessant. Ils étaient pris dans une tempête terrible. Elle n’avait duré que brièvement. La durée de vie d’un insecte de nuit.
Je divaguais. En équilibre sur un fil tendu au-dessus d’un fleuve en colère. Je n’avais pas peur. Trop préoccupé par l’ensemble du chaos. Par l’éclat bleu du véhicule de secours. Comment allais-je leur dire ? Pour peu que je le puisse désormais. Pour peu qu’ils m’entendent. Il s’agit de mes proches, mes tout proches.
A cette pensée, des larmes ont coulé sur mes joues. Ils étaient là, à deux pas dans une salle d’attente, sans que je le sache. Silencieux, abasourdis.
Un médecin les avait accueilli à leur arrivée et ne les avait pas orienté vers des nouvelles très sereines. Mon pronostic vital était engagé dans cette lutte pour laquelle je n’avais pour moi que ma jeunesse. Ce n’était pas rien mais je l’ignorais. Je ne le saurai que plus tard, beaucoup plus tard…
Il y avait depuis des heures cette chanson qui accaparait mon esprit.
Je l’avais souvent entendue lors de diverses cérémonies.
Je voyais un homme marchant sur le côté gauche de la route. Il portait une lampe pour éclairer son chemin.
Et puis cette voiture qui sortait tous feux éteints et s’arrêtait devant moi comme un piège sur le tracé du loup.
C’est une seconde naissance pour l’homme blessé que survivre en réanimation. Je n’avais plus aucun repère, plus aucun guide.
Rien d’autre que ce phare perdu dans l’immensité. Rien d’autre qu’une corne lointaine hurlant son signal comme celle que j’entendrai bientôt dans ma chambre à Kerpape.
Tout cela n’avait aucune raison d’être. Tout cela était absurde. Ce corps étendu sur le lit ne pouvait être le mien ou alors pourquoi ?!?
Des millions d’êtres humains ce soir vivaient au rythme de leurs habitudes et quelqu’un m’avait désigné parmi eux. Ce soir c’était moi, c’était mon tour. Et ceux là dormaient, buvaient ou dansaient.
Le fil mystérieux reliant les uns aux autres sous la grande voute céleste s’était rompu.
Il me faudra du temps, des colères et des renoncements, beaucoup de courage, me dira-t-on, pour accepter cette nouvelle route devant moi désormais, et trébucher le moins possible…
Il me faudra être en parfait accord avec mon destin et pactiser avec lui.
Sophie CLUZEL
Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée des Personnes handicapéesSophie CLUZEL
Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée des Personnes handicapéesEn France, les accidents de la route représentent aujourd’hui la première cause de mort violente.
Parmi ces drames, la perte d’un enfant est particulièrement insoutenable. En 2019, 102 enfants ont tragiquement perdu la vie.
Je ne peux imaginer la douleur que ressentent leur famille et le profond sentiment d’injustice qu’ils peuvent éprouver.
Je salue aujourd’hui l’engagement de l’association Vict’w Art qui permet, au travers de cette exposition itinérante, d’honorer leur mémoire. Pour que le souvenir de ces existences, brutalement arrachées, demeure. Et que chacune de ces œuvres éclaire les consciences, d’une manière nouvelle. Ce détour par l’art permet en effet de dire l’indicible, d’alerter sur les dangers de la route et de mobiliser les esprits pour contribuer à faire évoluer les mentalités.
En effet, près de 9 accidents mortels sur 10 ont pour origine une infraction au Code de la route.
Combien de vies auraient pu être sauvées si les bons comportements avaient été adoptés ? Combien de destins brisés auraient pu être évités ? Combien de familles endeuillées auraient pu être épargnées ?
Sensibiliser le plus grand nombre sur la conduite à risque apparaît donc primordial. C’est un enjeu qui nous engage tous collectivement.
Je le sais d’autant plus que les accidents forment avec les maladies génétiques et chroniques la troisième grande cause de handicap. Cette épreuve, par sa brutalité, peut alors être vécue comme un bouleversement. Il faut alors se reconstruire, réapprendre à vivre. C’est un sujet sur lequel le Secrétariat d’Etat au Handicap est pleinement mobilisé, afin d’accompagner au mieux les personnes et leur famille. A cet égard, je salue également le rôle de premier plan des nombreuses associations du secteur, qui œuvrent pour soutenir les personnes, les orienter et conseiller les familles.
Responsabiliser les usagers de la route, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, est ainsi fondamental. Ne baissons pas la garde, même après l’année 2020, où le nombre d’accidents a considérablement chuté du fait des restrictions de déplacement ! Restons vigilants, ensemble.
Charles-Henri COPPET
Avocat spécialiste en droit du dommage corporel et défense exclusive du droit des victimesCharles-Henri COPPET
Avocat spécialiste en droit du dommage corporel et défense exclusive du droit des victimesNous déambulons tous sur un même câble tendu absurdement au dessus du vide entre deux pics rocheux. Ils sont l’un et l’autre entourés d’une brume épaisse qui les soustrait à nos regards. Celui qui abrite le mystère de la vie nous projette dans un premier cri et nous en gardons le regret tandis que nos pas se succèdent, pour nous mener vers le but de cet étrange voyage. Malgré tout, les générations successives s’engagent inlassablement sur ce chemin en partageant une irrépressible ambition de bonheur.
Celle-ci va se trouver contrariée par tous les coups du sort trop nombreux, les mauvaises surprises qui semblent se reproduire à l’infini et les misères toujours plus variées les unes que les autres ; jusqu’au jour où survient une tristesse plus hideuse que les autres. Un fracas inhumain dont on n’imaginait pas l’écho. L’imagination du Malheur est véritablement sans fin. Les déplacements, les routes, les voitures, la vitesse, les motocyclettes, les toxiques, la violence, l’irrespect, l’inconscience sont autant de notions qu’il superpose, mélange, assemble pour donner libre cours à ses sombres desseins.
J’ai appris à l’école un poème terrifiant sur un génie malfaisant qui emportait les âmes des enfants :
« Père ne vois-tu pas le Roi des Aulnes avec sa couronne et ses longs cheveux…
– Sois tranquille, reste tranquille, mon enfant : c’est le vent qui murmure dans les feuilles sèches…
– Mon père, mon père voilà qu’il me saisit ! Le Roi des Aulnes m’a fait mal.
Le père frémit, il presse son cheval, il tient dans ses bras l’enfant qui gémit ; il arrive à sa maison avec peine, avec angoisse : L’enfant dans ses bras était mort. » *
C’est à ce poème que j’ai pensé quand j’ai su que le Malheur avait revêtu la cape du Roi des Aulnes pour enlever 102 enfants à leurs parents sur nos routes en 2019. C’est pour le combattre que je prends les armes. Vouloir réparer ne me suffit plus. Aider à supporter l’intolérable ne m’apaise pas davantage. Défendre ceux qui ne devraient pas avoir à se défendre agace mes révoltes. Aussi, seule l’idée de prendre la route pour combattre ce mal sur les terres qu’il occupe, faute que nous les occupions par la vertu, m’est apparue.
Cet engagement est contagieux, j’en veux pour preuve tous ces opposants réunis comme moi autour de la nécessité d’informer, de combattre et de vaincre cette noirceur qui emporte la meilleure part de nous-mêmes. C’est elle qui donne un sens à notre déambulation sur le câble dérisoire de l’existence. Si nous ne sommes pas capables de respecter et de protéger nos enfants, alors tout ce chemin que nous parcourons n’est qu’une vaine gesticulation. Soyons tous des moines-soldats capables de délaisser nos habitudes, de nous détourner de nos renoncements, de dépasser nos fonctions pour ensemble briser la structure fractale du Malheur. Il est désormais temps de faire face à ce génie malfaisant et de le bannir hors de nos chemins, pour que sa terrible besace ne capture plus jamais le souffle de nos enfants.
*Le roi des Aulnes, J.W. Goethe
Docteur Pierre CORMAN
Médecin conseil de victimes, co-président de l’ANADOC, président honoraire de l’ANAMEVADocteur Pierre CORMAN
Médecin conseil de victimes, co-président de l’ANADOC, président honoraire de l’ANAMEVAToute ma carrière à poursuivre une chimère, celle de la meilleure indemnisation possible des victimes d’accidents… Une chimère ? Oui, car indemniser, c’est seulement tenter de « RÉPARER »…
Mais, « réparer » ne pourra jamais prendre l’incommensurable place de l’absence. Ce vide laissé par ces enfants disparus, ou ce vide incarné par ces enfants qui ne sont plus présents qu’à travers l’image déformée ou projetée de leur handicap.
Comment faire face à cette absence, se reconstruire et se battre pour aller au-delà du deuil ? J’ai rencontré durant mes 25 années d’exercice, d’admirables combattants, mères et pères, frères et sœurs, tous impliqués, tous résilients, volontaires actifs et engagés dans la reconstruction d’une vie qui ne pourra jamais plus être la même, mais tous animés d’une force que le drame vécu leur a injectée.
Ces 25 années d’innombrables leçons de vie m’auront renforcé dans ma conviction tellement ancrée de l’inutilité et de la vacuité de la prise de risques accidentogènes, mais aussi de l’injustice du destin dans son arbitraire cruauté. Sachons tous apprendre à nos enfants la prudence, la sécurité routière, mais aussi la conscience de leur propre vulnérabilité.
Notre culture doit intégrer la conscience de la responsabilité, individuelle et collective, afin que chacun puisse tendre vers la maîtrise de son destin.
« Il n’y a pas de hasard »… Si, pour moi, chacun devrait œuvrer à le contrôler pour que l’accident qui n’arrive qu’aux autres, n’arrive à personne.
Utopie ? Non, c’est mon credo…
Esther CUSSONNET
Victime d’un accident de la routeEsther CUSSONNET
Victime d’un accident de la routeUn jour d’août, je marchais tranquillement sur un parking avec ma cousine, pour rejoindre ma grand-mère quand soudain, il a reculé sans regarder dans son rétroviseur.
Il m’a percutée, je suis tombée, et mon pied s’est retrouvé coincé sous son pneu. Ma cousine a tenté de le prévenir en frappant contre sa voiture. Il a mis son frein à main pour voir ce qu’il se passait.
En faisant ça, il a condamné mon pied à tout jamais.
Moi qui rêvais de danser, je ne connaîtrai jamais ce bonheur.
Je serai différente pour toujours.
La suite est assez confuse : je me souviens d’une énorme douleur, de la panique ambiante. Quand je me suis réveillée, j’étais chauve, plâtrée jusqu’en haut de la cuisse, branchée de partout. Le chirurgien qui s’est occupé de moi, et qui a toute ma reconnaissance aujourd’hui, a fait le choix de greffer la peau de ma tête sur mon pied. Son opération risquée a fonctionné. Après quelques mois d’hospitalisation, de rééducation, j’ai pu reprendre une vie « presque » normale. Presque normale car rythmée par la rééducation, les rendez-vous médicaux, les interdictions…
Malgré le bon accueil lors de mon retour à l’école, je me suis vite sentie différente entre les interdits puis cette cicatrice bien trop visible. Deux ans après mon accident, je souffre d’une aggravation due à la gangrène, l’amputation est alors inévitable.
Un nouveau choc. Les rendez-vous médicaux, la rééducation…
Tout recommence.
J’ai été confrontée aux grands brûlés, aux accidentés de la route…
Des images gravées de membres mutilés, de marques indélébiles sur ces corps d’adultes : j’étais bien trop jeune pour supporter tout ça. Je pensais à cet homme « distrait » qui avait volé mon enfance, mon insouciance et qui me condamnait à évoluer dans un endroit où je n’avais pas ma place.
J’ai grandi avec cette différence comme j’ai pu, je me suis forgé une carapace pour supporter le regard pesant des autres, emprunt de dégoût ou de pitié. Je me souviens d’une maman affolée, qui a retiré son enfant de la piscine, en disant « je ne veux pas que tu attrapes ça » ou des gens qui changent de file d’attente par dégoût.
Pendant longtemps, j’ai pris le parti de cacher ce pied qui me faisait honte. Et puis un jour, mes amis du lycée m’ont dit : « ton pied ne nous dérange pas, nous t’aimons comme tu es : avec ou sans cicatrice ».
C’est à ce moment précis que j’ai voulu faire de mon handicap une force. Ce n’est pas évident tous les jours, mais la femme que je suis ne peut nier que certaines de ses qualités sont nées de cette différence.
A tous les regards malveillants, aux ignorants, à ceux que le handicap répugne, j’ai envie de dire : « Regardez bien, j’avais 6 ans, il n’a pas regardé où il allait, il m’a brisé le corps, il a volé mes rêves d’enfant mais aujourd’hui je suis là devant vous, je ne baisserai plus les yeux et rien ne m’empêchera d’avancer, de sourire, d’être celle que j’ai toujours été. »
Isabelle DARGENT
Victime d’un accident de la routeIsabelle DARGENT
Victime d’un accident de la routeJ’avais à peine 24 ans lorsque j’ai eu un accident de la route en allant travailler, me laissant tétraplégique et changeant ma vie définitivement.
J’étais seule, j’étais prudente et pourtant, j’ai perdu le contrôle de mon véhicule et fait plusieurs tonneaux.
J’étais alors danseuse et j’avais des projets de vie, de voyages, avec mon compagnon, mais tout s’est arrêté ce jour-là.
Se sont alors enchaînés déceptions, découvertes, tristesse, espoirs et beaucoup de sentiments très contradictoires concernant le corps médical.
L’annonce de mon handicap, même si elle n’était pas une réelle surprise, a été difficile à digérer. J’ai d’abord dit « je ne pourrai plus jamais danser… ».
Après 3 jours de coma, je découvre que je ne respire pas seule, que tout mon corps refuse d’obéir et que cette situation risque de durer, voire d’être définitive.
Pourtant, je décide de ne pas baisser les bras (sans mauvais jeu de mots!) et que quoi qu’il arrive, je n’abandonnerai pas.
Malgré la maltraitance du corps médical, le pessimisme des médecins quant à ma récupération, la méchanceté et l’absence d’empathie de personnes de l’entourage, et la surmédication, aujourd’hui, 15 ans après, je respire seule, j’ai récupéré une grande partie de l’usage de mes bras et de mon équilibre. Je peux même faire quelques pas !
Même si mes gestes essentiels nécessitent toujours une aide extérieure, je continue mon combat vers un mieux et vis désormais dans l’instant.
J’ai écrit un livre racontant mon parcours et incitant à la résilience, je travaille, je voyage et je chante dans un groupe, me prouvant chaque jour que ma capacité respiratoire s’améliore.
Ne laissez jamais personne vous dire que c’est impossible ou que vous n’êtes pas capable.
Gérald DARMANIN
Ministre de l’IntérieurGérald DARMANIN
Ministre de l’IntérieurEn 2019, un peu plus de 56000 accidents corporels se sont produits sur les routes de France, faisant 202 victimes (193 blessés et 9 tués) par jour. Ces accidents ont tous des conséquences dramatiques dans la vie quotidienne des victimes et de leurs familles. Ce sont autant de vies brisées sur nos routes.
Ce sombre constat ne doit pas cacher la réussite indéniable de la politique publique de sécurité routière depuis les premières mesures lancées en 1972. Au cours de ces 10 dernières années, le nombre d’accidents corporels a chuté de près de 33% et celui des tués sur les routes de 35%, malgré la hausse de la fréquentation de notre réseau routier.
Le Gouvernement a fait de la lutte contre l’insécurité routière une priorité et les services sont, tous les jours, sur le terrain pour contrôler, sanctionner, prévenir, secourir. L’engagement du Ministère de l’Intérieur dans le contrôle des contrevenants aux règles, est total, et mon soutien aux forces de sécurité et aux forces de secours qui œuvrent sur tout le territoire, est indéfectible. Chaque jour, chaque nuit, policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, professionnels ou volontaires, civils ou militaires, sont les premiers présents sur les accidents. Les équipes de secours agissent avec professionnalisme sur toutes les situations, même les plus difficiles, et nous apportent une capacité de secours inédite.
Le combat contre l’insécurité routière doit être poursuivi sans relâche. Rappeler les règles de prudence, pour informer des risques que fait courir à sa famille, à ses amis, et à tous les usagers de la route, la vitesse, l’alcool, les drogues ou le téléphone.
Réduire les risques sur la route est aussi un combat personnel qui relève de la responsabilité de chacun. Car dans la grande majorité des cas, les accidents sont dus à une défaillance humaine, un manquement au Code de la route ou à une inattention dont les conséquences sont souvent dramatiques.
C’est pourquoi il nous faut continuer à convaincre qu’une circulation apaisée et partagée est possible, permettant la mobilité de tous, si chacun d’entre nous fait un effort de formation et de respect des règles de sécurité. Il nous faut continuer de soutenir les actions de prévention et d’apprentissage, et ce notamment à destination des plus jeunes. Il nous faut poursuivre notre effort pour mieux prévenir – et sanctionner les conduites à risque, en particulier sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool.
Ce chiffre de décès sur les routes n’est pas une fatalité. Il peut et il doit être réduit en faisant prendre conscience que ces victimes sont, dans la plupart des cas, évitables et que nos comportements sur la route doivent individuellement et collectivement changer.
Cette lutte contre l’insécurité routière, cet engagement de chacun, agent, bénévole, citoyen, le Ministère de l’Intérieur que je dirige y est profondément attaché, car cet engagement a un unique objectif : sauver des vies.
Gérard DAVIAU
Père d’une victime de la routeGérard DAVIAU
Père d’une victime de la routeUn accident, lorsqu’il survient, vous n’y êtes pas préparés.
Vous pensez que cela ne peut toucher que les autres, mais personne n’est à l’abri, la preuve. Quand vous êtes devant le fait accompli, il vous faut réagir, vous adapter. Vous vous demandez si vous allez faire face, vous pensez au pire mais aussi qu’il peut s’en sortir.
Au jour le jour, nous avons vécu des moments d’interrogation, d’attente, de doute, d’espérance et de joie.
Quand la vie est présente, il faut toujours y croire, même si vous êtes atteint au plus profond de vous-même. Je ne sais pas si notre réaction fut bonne ou mauvaise, mais nous n’avions que le choix d’espérer, de soutenir Romain, et de l’aider à surmonter cette épreuve.
En tant que papa, écrire ces mots était une forme d’espérance, de reconnaissance, d’échappatoire, pour relativiser, pour vivre. Ce que j’ai écrit, je l’ai vécu.
Ce que j’ai retenu de cette épreuve, c’est croire avec l’espoir et avoir foi.
Si ces petits mots pouvaient aider des gens confrontés à de telles exigences de la vie, je serais content.
On dit toujours que les épreuves vous forgent une carapace mais elles peuvent aussi vous fragiliser.
Au plus profond de la pensée, il y a ce mot qui m’a toujours habité : ESPÉRANCE.
Préambule « Crois en ton étoile », recueil des poèmes écrits par Gérard Daviau,
à l’hôpital, au chevet de son fils, lors des 3 semaines de coma,
8 semaines de réanimation et le temps de la rééducation, de Romain.
Marguerite DE MERODE
Artiste photographeMarguerite DE MERODE
Artiste photographeSur le sol un signe de ton passage.
Il y a quelques minutes tu riais,
la vie devant toi.
Un nœud d’amour dans tes cheveux blonds.
Un nœud couleur du sang que tu laisses sur l’asphalte.
L’enduit recueille ton dernier passage.
Tu ne t’en es pas rendu compte.
Un souffle, un bruit sinistre et le silence de tes pas
qui s’éloignent vers le néant de ma mémoire.
Marie DEFACQ
Victime d’un accident de la routeMarie DEFACQ
Victime d’un accident de la routeJe me suis faite renverser à l’âge de 13 ans et j’ai été hospitalisée de septembre 2008 à juin 2011. Mes meilleures comme mes pires années. Ça a été difficile de comprendre que ma vie n’allait plus être la même.
Je ne peux plus parler comme avant, je suis hémiplégique à gauche et j’ai un syndrome cérébelleux à droite, je tremble quoi…
Dans un premier temps, j’ai été hospitalisée à l’Hôpital Necker, j’étais quasiment morte. La première fois que je me suis aperçue que,j’étais en fauteuil, c’était des semaines plus tard. Mon accident avait été tellement grave et le choc si fort, que j’ai été dans le coma et j’ai d’ailleurs failli y « passer » durant les 72 premières heures.
Le 25 décembre 2008 c’était ma première sortie de l’hôpital, plus de 3 mois après mon accident. J’étais trop heureuse et j’ai ensuite eu l’autorisation de rentrer tous les week-ends chez Maman.
J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été mise en contact avec une association de pompiers « Pompier Raid Aventure ». Avec eux, nous courons des marathons ou bien des trails. Nous, « les jeunes », sommes aux commandes de la joëlette et les pompiers courent autour.
Au bout d’un temps, ma Maman a accepté que mes copains du collège viennent me voir à l’hôpital ou le week-end chez elle. Ils étaient contents de me revoir même si je n’étais plus tout à fait comme avant. Ils m’ont aidé pour mon rétablissement.
Ma première sortie pour me promener dans Paris a été difficile. J’avais l’impression que tout le monde me dévisageait, j’étais mal. Mon premier restaurant, 2 ans après l’accident, a été dur aussi : les personnes nous regardaient manger et j’entendais « Oh, elle mange comme un bébé ». Depuis le traumatisme, j’ai besoin d’aide pour amener la nourriture à ma bouche. Ça a été très long pour moi d’admettre que j’étais handicapée pour le reste de ma vie.
J’ai été scolarisée 1 an dans un établissement ordinaire en 2011, j’avais une AVSI (Auxiliaire de Vie Scolaire Individuelle) qui m’accompagnait durant toutes mes journées à l’école. Ma Maman m’aidait à me préparer, et un chauffeur m’accompagnait. Il a fallu également faire appel à un réseau d’auxiliaires à domicile pour m’aider à rentrer dans l’appartement, me doucher, me mettre en pyjama et faire mes devoirs en attendant que ma Maman revienne du travail. Il a fallu m’enlever certains cours pour que je fasse mes séances de rééducation, kinésithérapie, orthophonie et ergothérapie. Ça a été très dur cette année-là pour l’organisation.
J’ai finalement eu mon stage de 3ème grâce à une association qui m’a trouvé une entreprise qui recrutait des stagiaires en situation de handicap. Ils m’ont très bien accueillie, ce stage était à mi-temps et j’allais à l’école le matin. J’ai eu mon Brevet des collèges. Je suis fière…
Pauline DÉROULÈDE
Victime d’un accident de la route, championne de France de tennis fauteuil, espoir Jeux Paralympiques Paris 2024Pauline DÉROULÈDE
Victime d’un accident de la route, championne de France de tennis fauteuil, espoir Jeux Paralympiques Paris 2024Le 27 octobre 2018. Il fait beau, je sors du sport, Je me sens bien, je vais rejoindre Typhaine et ses amies pour un bel après-midi ensemble. On rit, on rit tellement, nous sommes heureuses, tout est parfait, je suis épanouie dans ma vie.
Ce soir, elle me présente à son frère, j’ai le trac. On va acheter des fleurs pour ne pas arriver les mains vides, histoire de faire bonne figure pour la première ! Rue de la Convention, en scooter. Je passe un premier feu, un deuxième, tout est au vert. On est libres, ensemble.
On passe devant un premier fleuriste, mais on continue de rouler, on s’arrêtera au prochain, juste à côté de chez nous. Je me gare devant le fleuriste. Typhaine et moi sommes inséparables et je ne sais pas pourquoi, cette fois-ci, je décide, pour « aller plus vite », de la laisser y aller seule.
Je l’attends donc assise sur mon scooter, moteur éteint, garée sur le trottoir. Je la perds de vue et commence à m’inquiéter, je prends mon téléphone pour lui demander où elle est et là, c’est le choc, le trou noir.
Comme dans les films, je me réveille 50 mètres plus loin, par terre, les bras en croix. Comme dans les films, je ne réalise pas tout de suite ce qu’il se passe, je pense à un attentat, je regarde mes mains car je suis pianiste, elles sont intactes. Comme dans les films, ça n’arrive qu’aux autres…
Pourtant cette fois, c’est en train de m’arriver à moi. Je suis seule, étalée par terre, et quand je baisse les yeux, je vois ma jambe qui n’est plus là.
Je n’ai pas mal, je ne respire plus vraiment, je suis en apnée mais je comprends tout de suite : ma jambe gauche a été arrachée.
Je comprends tout de suite que ma vie d’avant est terminée et que je ne serai plus jamais la même, c’est fini. Ce film que j’aimerais tant rembobiner…
Typhaine me rejoint, elle est là près de moi, me rassure, et comme si elle lisait dans mes yeux terrifiés, elle me dit : « Ne t’inquiète pas mon amour, je vais t’aimer toute ma vie ».
Le tourbillon continue, je suis transportée à l’hôpital, je demande aux médecins s’ils vont pouvoir me recoller ma jambe, ils me répondent que non. Quelques heures plus tard, en salle de réveil, ma famille est là, Typhaine aussi. Je vois leurs regards inquiets, ils ont besoin d’être rassurés, je souris, car je suis en vie et leur dis « Ne vous inquiétez pas, je vais faire les Jeux Paralympiques ».
Erwan DEVEZE
Frère d’une victime de la route, auteur conférencier, artiste peintreErwan DEVEZE
Frère d’une victime de la route, auteur conférencier, artiste peintreC’est une belle journée ensoleillée de printemps. Comme chaque samedi, nous allons passer avec mon grand frère et notre meilleur copain notre après-midi à rigoler, construire des cabanes, observer la nature, imiter nos héros favoris. Mon frère est tout pour moi. Tout.
J’ai sept ans, bientôt huit, il en a neuf. Il est grand, costaud, réussit en tout.
Et il veille sur moi, me protège. Mon frère est mon modèle, mon repère, mon essentiel. Je ne fais rien sans lui, je ne décide rien sans lui, je n’aime rien sans lui. On a une chance folle, notre enfance est un bonheur absolu.
Il se fait tard, il faut rentrer, notre mère doit passer nous chercher. On se dépêche, on a un peu traîné en chemin. Des vrais inséparables tous les trois ! Nous voilà arrivés. Reste une route à traverser. Nous sommes alignés sur le bas-côté. Je suis au milieu. Mon frère garde toujours un œil sur moi. Il fait bien, je suis souvent dans la lune. Une voiture approche au loin, je la regarde fondre sur nous. Nous attendrons qu’elle passe avant de traverser. Quelle idée de rouler aussi vite…
Le véhicule arrive à notre niveau, je tourne la tête en direction de mon frère qui étrangement a fait un pas. Un pas de trop. Pourquoi ? Je ne sais pas. Pour me protéger ? Il est percuté à une vitesse inouïe et catapulté dans les airs tel un pantin désarticulé. Je cours dans sa direction. Il retombe dans le fossé d’en-face. Il est devant moi, sans vie. Je l’appelle en pleurs, le supplie de me répondre. Le chauffard hurle de me sortir de là, n’osant me toucher. Mon frère décédera de ses blessures dans la nuit.
Je le retrouve allongé sur son lit de mort. Il est si beau. On dirait le petit prince de Saint-Exupéry ! Plus de sang, plus rien, juste un étrange aspect cireux. J’espère secrètement qu’il va se relever et me dire « Je t’ai bien eu, hein ? Allez viens, on va jouer au foot ! ». Je reste prostré. Ma mère, dévastée, lui coupe une mèche de ses jolis cheveux blonds. Je ne dis rien mais j’aurais préféré qu’on lui demande son avis. Quelques heures plus tard, le cercueil disparaît sous terre. Cette fois, j’ai compris. Deux enfants sont morts ce jour-là.
Ce drame emportera tout sur son passage. Un champ de ruines familial. Cette tragédie suivie par tant d’autres aurait dû sceller mon sort. Elles auront pourtant l’exact effet inverse. Je vais dès lors m’acharner à donner du sens à cette insupportable absence et infinie souffrance. Je grandis comme je peux. Adulte, je deviens tour à tour humanitaire en guerre, peintre, écrivain, conférencier, spécialiste du cerveau, etc. Avec cette sensation étrange et sublime que mon frère est là près de moi en renfort. Je comprends avec les années que rien ne pourra en réalité nous séparer. Pas même la mort.
A vous qui avez vécu l’indicible, je voudrais vous supplier de refuser cette carrière de victime qui s’offre à vous et ne fera que précipiter votre chute. Injuste et âpre, la vie sait malgré tout être belle et étonnante. Il y a tant à faire pour soi et pour les autres. Au travail. Pour eux, pour nous.
Mozart DIADIA
Agent de sécurité, Centre de rééducation, Clinique RamsayMozart DIADIA
Agent de sécurité, Centre de rééducation, Clinique RamsayRéaliser que la route peut être synonyme de danger est un constat malheureux mais véridique qui prouve que la vie ne tient qu’à un fil.
De ce fait, de nombreux usagers de la route deviennent des victimes d’accidents de la circulation.
Dans le cadre de mon activité professionnelle d’agent de sécurité incendie, j’exerce sur plusieurs sites recevant du public. Depuis un certain temps, je travaille au sein de la Clinique de Rééducation du Bourget.
Je croise ainsi, quotidiennement, plusieurs patients victimes d’accidents causés par des chauffards en excès de vitesse ou sous l’emprise de stupéfiants et/ou d’alcool.
La prise en charge de ces patients n’est possible qu’avec l’amour. L’amour des soignants, des agents hospitaliers, de leurs proches ainsi que celui de toutes les personnes qui les accompagneront et défendront, pour reprendre la main sur leur vie.
De nombreuses victimes ont perdu leur autonomie, indépendamment de leur volonté, suite à des comportements inhumains et irresponsables, mais elles gardent une rage de s’en sortir et une volonté de s’adapter à leur nouvelle vie qui ne cessent de m’épater. Je suis frappé et ému par leur courage.
J’ose enfin espérer qu’un jour la route deviendra synonyme de sécurité.
Jean-Baptiste DJEBBARI
Ministre délégué chargé des TransportsJean-Baptiste DJEBBARI
Ministre délégué chargé des TransportsChaque accident de la route est un accident de trop. Chaque victime, une victime de trop. Chaque piéton, chaque cycliste, chaque motard, automobiliste ou passager tué sur la route, est une mort de trop.
Le Projet [102] est nécessaire. Car de toutes nos armes contre les dangers de la route, la première reste la sensibilisation, par tous les moyens, des conducteurs. La deuxième est l’innovation. Ce n’est pas seulement une conviction, c’est une réalité.
Comme la ceinture de sécurité et les airbags hier, les panneaux lumineux et les indicateurs de vitesse contribuent à réduire les risques. Des détecteurs d’angles morts seront équipés sur tous les nouveaux modèles de poids lourds dès 2022 : ils seront capables de détecter les piétons et cyclistes à proximité immédiate du véhicule, d’avertir de leur présence et, ainsi, de limiter les accidents. A cela, il faut ajouter l’arrivée progressive des dispositifs avancés de freinage d’urgence.
Le véhicule connecté et automatisé est une chance pour les passagers autant que pour les conducteurs : il protégera les premiers et aidera les seconds. Bientôt, il sera capable de détecter les dangers plus vite que l’œil humain, d’identifier la somnolence au volant et d’en alerter le conducteur. La route connectée pourra prévenir les automobilistes des dangers en temps réel – et donc protéger tous les usagers de la route.
Parce que l’innovation ne saurait être source d’insécurité, l’arrivée des trottinettes électriques et l’engouement retrouvé pour le vélo doivent s’accompagner d’infrastructures adaptées. C’est pourquoi le Gouvernement a fortement soutenu le développement de pistes: depuis 2017, le nombre de kilomètres d’aménagements cyclables sécurisés a augmenté d’un tiers. Sensibiliser et innover : si nous voulons rendre la route plus sûre, si nous voulons que tous les usages puissent y cohabiter, l’un ne peut aller sans l’autre.
Je sais la douleur des rescapés d’accidents de la route et des familles de victimes. Je sais aussi leur inlassable engagement pour que l’horreur ne se reproduise pas. Pour elles, et à leurs côtés, je me battrai sans relâche pour que le Projet [102] puisse changer de nom ; pour faire en sorte, autant que possible, qu’il puisse un jour être renommé Projet [0].
En attendant d’y parvenir, merci au Projet [102] d’exister.
Brigitte DOLOIR
Assistante Médico-Administrative, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service de Chirurgie OrthopédiqueBrigitte DOLOIR
Assistante Médico-Administrative, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service de Chirurgie OrthopédiqueLe souvenir de cette journée restera gravé dans ma mémoire.
Je me souviens de cette maman, ce matin-là, assise dans mon bureau, effondrée, sous le choc. Ses yeux rougis par les larmes et son corps fébrile, elle accusait le coup.
Elle souhaite évoquer l’histoire de son fils Kévin*, âgé de 17 ans.
Vingt quatre heures avant le drame, tout est calme. Kévin et ses trois amis d’enfance embarquent à bord du véhicule, pour une virée entre copains. La soirée se déroule merveilleusement bien.
L’heure du retour a sonné. Les amis reprennent la route quand tout à coup… Le cauchemar ! Le véhicule des jeunes est percuté en pleine face, par une voiture dans une course folle. Le choc est extrêmement violent.
Les secours arrivent sur place. Ils prennent en charge rapidement les trois adolescents âgés respectivement de 16 et 17 ans et le conducteur, un jeune majeur de 18 ans.
Le téléphone familial retentit. L’appel fatidique fait écho dans les oreilles des parents. La terrible nouvelle tombe : Kévin et ses amis sont transportés à l’hôpital dans un état grave.
La maman poursuit son récit dans mon bureau. Le souffle coupé, elle exprime sa chance de prendre son fils dans ses bras aujourd’hui. Le chaos a frappé les autres familles. Elles n’auront plus la joie de voir leurs enfants sourire.
Ce terrible accident a été fatal. Les trois jeunes amis de Kévin ont rendu leur dernier souffle, en franchissant l’enceinte de l’hôpital.
Peu de temps après, Kévin a quitté le service d’orthopédie pour entreprendre sa rééducation. Il poursuivra sa vie, sans ses amis.
Chaque vie humaine est précieuse. Combien d’enfants devront encore perdre la leur dans ces circonstances tragiques, dramatiques ?
* Le prénom a été modifié afin de conserver l’anonymat du patient.
Chloé DURAND
Assistante de service social, Centre hospitalierChloé DURAND
Assistante de service social, Centre hospitalierQuotidiennement, je vais à la rencontre de vies brisées et bouleversées par la tragédie que représente un accident de la route.
J’accompagne ces victimes dans leur parcours de reconstruction, tant physique que psychologique, dans la quête d’une reconnaissance de leur statut et des préjudices subis.
Leur existence se met en pause, le temps des soins pour ceux qui survivent, le temps de repenser un avenir, brutalement perturbé, pour ceux qui ont perdu un proche.
Les accompagner, c’est leur tendre la main, alors qu’il faut réfléchir à un projet de vie que personne n’avait imaginé avant le drame.
J’ai rencontré des victimes de tous les âges, issus de tous les milieux, toutes très différentes les unes des autres ; parce qu’être victime d’une telle épreuve n’arrive pas qu’aux autres.
Chacun peut y être confronté personnellement, ou professionnellement comme cela est régulièrement mon cas.
L’accident de la route n’est pas simplement un acte isolé ; c’est un long processus de rééducation et de réadaptation à plusieurs niveaux, et dont la prise en charge est souvent longue et délicate, tant pour les victimes que pour l’entourage. Du choc au déni, alternant périodes de colère et de tristesse ; le chemin est ardu et laborieux pour arriver à accepter le changement et ses séquelles.
Personne ne se prépare à la brutalité d’un tel évènement, au combat qui s’ensuit, aux démarches incommensurables à accomplir pour obtenir « RÉPARATION ». Il ne suffit pas d’une indemnisation pour restaurer la dignité des victimes, même si celle-ci est capitale. L’accompagnement doit être juste et complet, multidisciplinaire. Le rôle de chaque personne est essentiel : médecins, personnels médicaux, paramédicaux, travailleurs sociaux, avocats, juges, associations, assurances, proches. Nous avons tous notre responsabilité pour redonner un peu d’espoir et de soutien.
La lutte est chronophage, mais plus que tout nécessaire pour prévenir, sensibiliser, interpeller autour de nous. C’est notre devoir à tous, ici-bas, d’agir pour avertir, pour ne plus avoir à réparer, dédommager, et « rafistoler » ces vies ébranlées.
A toutes ces personnes qui pensent que leurs rêves se sont éteints ; peut-être que la façon de les réaliser sera différente mais gardez l’espoir que vous pouvez toujours les concrétiser.
Thomas DUCATILLION
Recruteur de donateurs ONG, globetrotteur, victime de la routeThomas DUCATILLION
Recruteur de donateurs ONG, globetrotteur, victime de la route«Hello ! J’ai 25 ans et j’ai grandi à Nice, dans le sud de la France. J’ai étudié beaucoup de choses comme le tourisme, l’ostéopathie, et je pratique le Reiki, la sophrologie et la méditation. J’ai passé plusieurs années de ma vie à travailler pour des associations à but non lucratif et avec des personnes qui souffrent de handicap mental, que j’ai guidées, en France et en Italie.
Et depuis 1 an, maintenant, je collecte de l’argent tous les jours dans la rue pour plusieurs associations.
J’aime le jazz, le blues, la soul, les voyages, l’humanité, et toutes les phrases commençant par « J’aime ça » ! J’écris de la poésie depuis l’âge de 8 ans, je suis également passionné de théâtre, de psychologie, de cinéma, d’histoire et de voile. J’ai déjà voyagé seul dans plusieurs pays d’Europe, mais aussi en Chine et aux USA.
Je suis une personne très ouverte d’esprit, qui essaie chaque jour de prendre le bon côté de la vie. Sauf le lundi, personne n’aime les lundis.
Le voyage est pour moi une quête d’amour, de rencontres et de partage. J’ai vécu 3 mois, sac à dos en solo, entre San Francisco et New York sans aucun plan, avec pour défi quotidien d’affronter mes peurs !
C’est avant tout pour moi, une quête de découverte humaine, culturelle et personnelle à travers des actions qui j’espère pèseront, après mon départ. L’équité est une valeur qui m’est chère, ma motivation abonde depuis toujours dans ce sens. Jusque-là, mes expériences et ma philosophie de vie holistique ont pu opérer dans mon pays natal, mais j’aspire à un élargissement de mon champ d’action afin de rendre ce monde plus égalitaire.
Je suis doté d’une grande empathie et d’un sens du relationnel avec une écoute particulièrement développée. Je suis également très curieux, pratiquant plusieurs méthodes de développement personnel et spirituel, avec un goût profond pour l’humain, le monde et sa découverte.
J’ai une immense curiosité et une indéfectible envie d’aider autrui. »
Enfin je devrais l’exprimer au passé car après une magnifique journée sur une plage de Guadeloupe avec mes amis, alors que je faisais du stop pour rentrer, un chauffeur adepte des grands dépassements de vitesses (déjà flashé 14 fois pour vitesse excessive ces 3 dernières années et qui avait participé le matin même, à un stage de récupération de points de permis), m’a percuté de dos à très grande vitesse. Alors oui je suis mort, avec une rupture de la moelle épinière et bien d’autres blessures puisque j’ai été projeté à 22 mètres. Cette personne charitable et responsable ne s’est pas arrêtée et a tenté d’échapper à sa responsabilité pénale en m’abandonnant gisant sur la chaussée.
J’avais une vie, des projets, des amis et une famille aimante.
Ce texte, sauf les dernières lignes, est recueilli d’après les écrits de mon fils.
Evelyne Poulain, maman de Thomas Ducatillion
Christophe DUCHATELET
Auteur des romansChristophe DUCHATELET
Auteur des romansÀ la nuit tombée, la lune pleine comme une orange lactée s’invite à la fenêtre de sa chambre. Angela brûle de l’intérieur, étendue sur le matelas : ses yeux ont vu par le milieu ce feu de lune avant de sombrer dans les bras de Morphée, le Dieu des limbes oniriques venu rôder en ce 1er août dans les rues de Ghjucatoghju, son village natal où se joue quelques fois une partition étrangère aux humains.
Maintenant sa peau se décolle, les os se retirent, et son âme s’envole aux abords du vivant, là où les morts viennent se frotter. Angela s’assied au pied d’un châtaigner, peuplé de lucioles, elle entend les grognements des sangliers penchés dans la rivière toute proche, les chants des oiseaux de nuit envoûtent les étoiles entre les branches, les ailes d’une libellule caressent ses paupières. Dans les ténèbres d’après minuit elle reconnaît le pelage d’un ghjattuvolpe* assis sur le dos d’une biche, elle ramasse une pierre à ses pieds et elle la jette à la nuit dans la direction du félin dont l’origine demeure encore mystérieuse, elle s’approche et trouve plus loin la dépouille du félin, elle retourne sa gueule où apparaît un visage si familier à ses entrailles, elle frémit, la nuit est dure, son obscurité cruelle.
Le lendemain, Angela se rend au bout du village, elle frappe à une porte. Une jeune femme la reçoit, elles s’étreignent.
« O Mà, perchè mi stringhji cusi forte ? » (« Maman, pourquoi me serres-tu si fort ? ») lui demande Catalina. « A mo figliulella, a so chè tù sì sempre stata curagiosa. Pusemuci »
(« Ma fille, je sais que tu as toujours été courageuse. Asseyons-nous »). Elles s’observent une éternité, puis Angela, la mazzera, prononce sa divination. « O figliò, t’aghju da dì una gattiva nutizia. Devi francà l’al dilà affucata in un agrunchjulamentu d’una carcassa di vittura fumicosa. Per i to figlioli à vene, devi riflette à a manera da sguisà issu drama. »
(« Ma fille, je dois t’annoncer une bien triste nouvelle, tu es appelée à franchir l’au-delà, étouffée dans un froissement d’une carcasse automobile fumante. Tu te dois de réfléchir à la façon d’éviter ce drame, pour tes futurs enfants »).
Angela retient ses larmes, une seule coule sous son œil gauche.
Des années plus tard, des témoins racontent qu’ils ont croisé Catalina sur une route secondaire, inaccessible aux automobiles, loin de la circulation et des trafics, en dehors du temps des humains.
Selon leurs dires, elle déambulait, heureuse, tout en dessinant une carte des randonneurs solitaires, à la croisée du règne animal et végétal, des vivants et des morts, humains et non humains réunis : elle avait bien l’intention de vivre encore longtemps sur ces routes secondaires inventées à chacun de ses nouveaux pas, fabriquer son propre cheminement.
* Chat-renard, espèce endémique corse.
Christophe DUCHATELET, auteur des romans Le Stage agricole (Flammarion 2007), Pelles & Râteaux (Calmann-Lévy 2008), Par-dessus ton épaule (Grasset 2017) et co-fondateur de la Revue Perpendiculaire (1995-1998)
Virginie FAYEL
Assistante de service social, Clinique FSEF Paris 16eVirginie FAYEL
Assistante de service social, Clinique FSEF Paris 16eLe décès de leur enfant vient d’être annoncé. Ils arrivent dans mon bureau. J’ai préparé la boîte de mouchoirs, de l’eau et des verres. Je ferme la porte. Je dois être professionnelle, empathique.
Je dois les accompagner dans les démarches administratives suite au décès d’un proche.
Cette maman et ce papa viennent de perdre leur enfant.
Comment comprendre une souffrance, une douleur que je ne peux pas imaginer ? Ils pleurent, sont anéantis par la douleur. Ils sont en colère. Comme je les comprends ! Mais il faut que je reste professionnelle, que je les accompagne dans ces démarches… qui leur passent au-dessus de la tête. Alors je les laisse pleurer, exprimer comme ils peuvent leur douleur, leur colère. Je leur propose de voir la psychologue, si cela n’est pas déjà fait.
Ils acceptent ou non.
Les laisser pleurer, ne rien dire, juste être à côté avec ma boite de mouchoirs. Le temps semble long. Je ne sais pas quoi dire. J’ai aussi envie de pleurer quand j’essaie d’imaginer ce qu’ils ressentent. Je me demande comment je pourrais vivre en étant amputée d’un morceau de moi, sans mon enfant ? Il n’y a rien de pire que de perdre un enfant. Ce n’est pas dans l’ordre naturel des choses.
J’essaie de garder la tête froide, de ne rien montrer de mes pensées personnelles. Je dois être professionnelle, mais je sens que mes yeux sont humides… Une petite larme apparait, je la retiens.
Ici, à l’hôpital, tout est “normé”. Les soins, les opérations, les traitements, … tout répond à des « process ». Mais là, il n’existe pas de procédure.
Il n’y a pas de formulaire, pas de critères d’admission, pas de posologie, il n’y a rien d’écrit, rien de normé…
Face à la souffrance de ces parents, je me sens impuissante. Comment leur expliquer les démarches qu’ils vont devoir accomplir ? Entre deux mouchoirs, deux sanglots, je leur remets des lettres types. Je leur dis de ne pas hésiter, que je suis à leur disposition s’ils en ont besoin. Tout cela semble insensé. Puis ils me remercient de mon écoute, de ma disponibilité et de ma compréhension. Parfois ils s’excusent d’avoir pleuré… ce qui me surprend à chaque fois.
Je me dis qu’accompagner des parents, qui sont dans une telle souffrance, c’est peut-être juste être à côté d’eux, en silence, les laissant pleurer, être en colère et leur tendre une boîte de mouchoirs…
A la fin de ces rendez-vous, je me sens souvent épuisée. J’ai envie de rentrer chez moi et de serrer mes enfants dans mes bras.
Et surtout, j’aimerais ne plus avoir à acheter des boites de mouchoirs…
Laëtitia FOUBERT
Mère d’un très jeune garçon décédé suite à un accident de la routeLaëtitia FOUBERT
Mère d’un très jeune garçon décédé suite à un accident de la routeIl est solaire, le sourire enjôleur et la malice dans les yeux ! Il s’appelle Timéo, il a maintenant 2 ans et je profite chaque jour de la chance que j’ai de voir grandir mon fils grâce à mon métier d’assistante maternelle, métier que j’adore. Les journées sont rythmées par les biberons, les câlins, les couches, les activités, parfois des petites larmes, et souvent beaucoup de rires avec les « copains » qui partagent nos journées.
Oui, Timéo est solaire, il rythme la totalité de ma vie, la totalité de mon cœur, et j’aime ça ! Malheureusement cela n’aura duré que 2 ans, 4 mois et 4 jours… Une date maudite, une voiture stationnée qui se propulse sur le trottoir, nous sommes piétons, son petit corps est coincé, mon cœur s’arrête et c’est sa petite vie qui s’envole…
Mon petit garçon fait partie des trop nombreuses victimes de la route de l’année 2007, mais pour nous il n’y a pas eu qu’une victime ce jour-là. Ma vie s’est arrêtée, brisée, anéantie, et celles de nos proches l’ont été aussi…
J’ai passé plusieurs années à me battre, clamant ces quelques mots : « Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres », pour que les lois changent et pour que les comportements évoluent. Ça paraît simpliste comme phrase, mais pour moi elle a pris tout son sens ce maudit 3 avril : nous pouvons tous être victimes de la route, quelques secondes suffisent à tout faire basculer. Alors qu’il me paraît si simple de mesurer la responsabilité que nous avons tous lorsque nous sommes derrière un volant !
J’ai essayé de le crier au monde entier : la prudence pourrait sauver tellement de vies, éviter tellement de larmes, limiter le nombre de pierres tombales… tout cela à cause d’un accident de la route… j’ai vraiment essayé, j’essaye et j’essayerai, encore et encore.
Je vis, j’ai souvent pensé que c’était là ma pire punition, j’ai souvent pleuré et hurlé d’être encore en vie, de survivre à mon enfant, mille fois j’ai voulu le rejoindre, mais je mesure aussi la chance que j’ai d’avoir été la maman d’un petit bonhomme si merveilleux !
Depuis 14 ans maintenant, j’apprends chaque jour à vivre avec ce manque et cette douleur, je sais que ce jour là, j’ai pris perpétuité.
Alors, j’essaye de rendre chaque jour meilleur, pour mes enfants, pour ma famille, et pour ceux que j’aime, et je prie mon ange pour qu’il aide les gens à prendre conscience de deux choses : la première, chère à mon cœur, c’est la chance qu’ils ont de chérir un quotidien avec leurs enfants ; la seconde, chère à mes nombreuses larmes, ce sont les choses qu’ils peuvent changer en étant plus prudents. La mort sur la route n’est pas inéluctable !
J’aurais aimé que ce jour là cet homme ne soit pas imprudent, et que je n’ai jamais à enterrer mon enfant…
Deux lois ont changé grâce au combat mené par grand nombre de personnes au nom de Timéo, et je leur serai éternellement reconnaissante, pourtant rien, non rien ne ramènera mon petit garçon, et rien ne me permettra plus jamais d’avoir une vie normale.
Je vous en prie, soyez prudents…
Pauline FOUQUET
Conjointe d’une victime d’un accident de la route, DRH dans la métallurgiePauline FOUQUET
Conjointe d’une victime d’un accident de la route, DRH dans la métallurgieTout commence un 29 Septembre ; un dimanche 29 septembre 2019 pour être précise. Notre Vendredi 13 à nous.
Les souvenirs de cette journée sont à la fois précis et flous, comme un tableau d’ardoise sur lequel nous aurions passé seulement un coup de brosse. Certains mots, moments, restent et d’autres sont embués, presque effacés.
Je me souviens parfaitement de Yann, passer le pas de la porte, une journée de foot comme tant d’autres. J’étais un peu agacée ce jour, il devait partir tôt pour retrouver son équipe.
Nos regards se sont croisés à travers la verrière de l’entrée, je lui ai dit « Je t’aime ». Je sais bien qu’il ne faut jamais se quitter fâchés…
A cet instant, ce serait la dernière fois que je le verrais debout, la dernière fois qu’il pourrait me tenir dans ses bras, fier et droit.
Mon Dieu, nous ne profitons pas assez de ces moments ! J’aurais tellement dû le retenir !
C’était une journée, comme dans les films, une journée de tempête, mêlant pluie et vent. Le jardin avait pris ses couleurs d’automne et les feuilles virevoltaient.
Mon naturel anxieux ne pouvait m’empêcher de lui écrire, savoir si la route se passait bien, le match était loin.
Tout ça pour perdre le match ! Comme si tout était écrit, une journée qui n’aurait jamais dû exister !
Vers 17h, un texto pour m’indiquer qu’ils ont pris la route du retour, Yann est passager arrière gauche. Quelques échanges pour débriefer du match, puis « … ». Un texto qui n’est jamais arrivé…
J’ai d’abord cru à un problème de réseau, j’ai continué à vaquer à mes occupations… Avant cet appel, « Ils ont eu accident, Yann ne sent plus ses jambes, il ne peut pas sortir de la voiture ».
Cet instant du témoignage est pour moi le plus difficile à décrire. Des sentiments contradictoires se mêlent, une envie de le serrer fort dans mes bras et une envie de m’enfuir loin.
Yann est groggy des différents traitements, je ne sais pas s’il comprend que notre vie est en train de basculer.
Le diagnostic est sans équivoque : PARAPLÉGIE, section quasi complète, aucune chance de remarcher.
Bien sûr, je comprends les répercussions motrices d’un tel diagnostic mais je comprends aussi que les troubles moteurs ne sont que la partie émergée de l’iceberg et que notre désir d’enfant est en train de s’effacer.
Malgré tout, rapidement, j’ai su que j’allais rester, j’ai su que son combat serait NOTRE combat.
Le soleil perçait les fenêtres de l’hôpital et il a souri. A cet instant, je me suis rappelée à quel point la vie était douce à ses côtés. Qu’importe le handicap, il n’y avait pas lieu que ça change. J’étais déjà tellement reconnaissante qu’il soit en vie, impossible de ne pas profiter de ce sursis.
Alexis FRÉMEAUX
Président de Mieux se Déplacer à BicycletteAlexis FRÉMEAUX
Président de Mieux se Déplacer à BicycletteJ’écris ces lignes à la fois en tant que président de l’association Mieux se Déplacer à Bicyclette et père de deux jeunes enfants de 3 à 5 ans. En tant que responsable de la principale association vélo francilienne, je suis régulièrement confronté à la réalité de la violence routière. Des vies brutalement arrêtées, de cyclistes, d’hommes, de femmes, de jeunes, de plus âgés, d’inconnus et parfois de militants. Des drames qui trop souvent ont lieu dans une grande indifférence comme s’il était normal de mourir à vélo en allant à son travail ou en se promenant. Une sorte de tribut payé par les cyclistes pour avoir le droit de circuler à vélo.
Cette fragilité, nous la ressentons tous en tant que cyclistes, car notre sécurité dépend autant de notre propre attention que du comportement des autres conducteurs. Cette fragilité, je la ressens encore plus fortement en circulant avec mes enfants. A vélo, mes enfants sont doublement fragiles, parce que cyclistes, et parce qu’enfants. Sur leurs petits vélos, ils sont au ras du trafic. Ils avancent à leur rythme en cherchant à garder le cap le plus droit possible. A la vue de jeunes enfants à vélo, la plupart des automobilistes font preuve de prudence et de bienveillance. Certains s’agacent de devoir ralentir en rattrapant notre petit convoi. Circuler à vélo avec ses enfants, pour un parent, c’est rester en permanence en alerte pour anticiper tous les dangers de la route.
Apprendre aux enfants à faire du vélo en toute sécurité est une nécessité. La généralisation de l’enseignement de la pratique du vélo à l’école serait un formidable progrès. En tant que parent et militant du vélo, il m’arrive de renoncer à me déplacer à vélo avec mes enfants, quand il n’existe pas de pistes cyclables ou quand le trafic est trop important. Ce renoncement, c’est celui de tous les parents qui n’imaginent même pas parfois qu’un enfant puisse circuler à vélo tant l’aménagement de nos rues et routes, reste hostile aux enfants qu’ils circulent à pied ou à vélo.
Nos choix collectifs d’adultes privent nos enfants de la liberté de se rendre à l’école ou encore d’aller voir leurs amis à vélo. Ils les privent de l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité de leurs déplacements que permet le vélo. Ce sont les choix collectifs que nous devons faire changer. C’est l’objectif de nos associations vélo partout en France. Si, j’ai commencé à m’engager pour le vélo, c’était pour créer une piste cyclable en bas de chez moi. Si je continue aujourd’hui à agir pour le vélo, c’est pour que mes enfants puissent faire du vélo.
Vanessa GARRIGUE
Nièce d’une victime décédée suite à un accident de la routeVanessa GARRIGUE
Nièce d’une victime décédée suite à un accident de la routeIl s’est levé un matin, avec toujours le même entrain.
Ivre de passion, son corps et son âme à l’unisson.
Mais cet autre qui pourtant lui ressemblait, à l’aube, était pressé,
Et en un quart de seconde, l’impétueux détruit son monde.
Sans lui ôter la vie, elle s’était malheureusement assombrie.
Son âme enivrée habitait à présent dans un corps désossé.
A chacune de ses pensées, il se demandait comment avancer.
Cet autre pour qui le temps était compté, n’avait quant à lui, de cesse de se répéter.
A quoi bon regretter quand le mal est déjà fait ?
Seule, égarée,
Dans cette enveloppe décharnée,
Son âme attendait de voir, une infime lueur d’espoir.
Alors qu’il était allongé, il se mit à rêver,
De sa vie passée, de son corps tout entier.
Optimiste éternel, il refusait de s’enfoncer dans ce tunnel,
Qui un triste matin, avait fait de lui un pantin.
Comme le phénix renaît de ses cendres,
Il se disait qu’il devait apprendre,
A repenser sa vie,
Sans en vouloir à celui qui semblait l’avoir détruit.
Il décidait de gagner son combat,
D’être encore plus fort que tout cela.
Le temps passait, il s’élevait,
Grâce à sa seule volonté, il rayonnait.
Et à force de s’étendre,
Il laissait son autre dans ses méandres.
Il pensait qu’on lui avait tout pris,
Mais ce jour-là, il comprit,
Qu’uniquement grâce à lui,
S’ouvrait une nouvelle vie.
Julien GERNIGON
Victime d’un accident de la routeJulien GERNIGON
Victime d’un accident de la routeVendredi 13 septembre 2019 : cette nuit-là je ne l’oublierai jamais. Elle m’a marqué à vie physiquement, intérieurement.
Je suis devenu un « handicapé ».
La voiture a quitté la route, a fait des tonneaux. La suite est compliquée et commence par le réveil à l’hôpital, le ressenti que tu es différent, que tu ne sens plus ton corps de la même manière. Le plus dur pour moi a été de me rendre compte que je ne bougeais plus mes jambes, ne pas savoir si j’allais un jour pouvoir remarcher.
Viennent ensuite les premiers mois au centre de rééducation et la perte de l’autonomie, parfois pour des choses qui semblent extrêmement simples. Vient le moment où le médecin m’explique que les mois à venir seront déterminants pour remarcher, ou non. J’ai eu un coup au moral mais je savais au moins à quoi m’attendre.
J’ai alors décidé d’avancer, de me battre toujours plus pour récupérer le maximum de capacité, même sans avoir la certitude de pouvoir remarcher un jour…
Dans le handicap il y a plusieurs étapes comme la tristesse ou le déni mais le plus important pour moi est de continuer d’avancer pour pouvoir passer à l’acceptation et accéder à la résilience.
Yann GRANDGUILLAUME
Victime d’un accident de la routeYann GRANDGUILLAUME
Victime d’un accident de la routeLe dimanche 29 septembre 2019, j’ai un match de Coupe du Centre Val de Loire de Football.
Le temps est exécrable ce jour là, et je suis remplaçant. Habituellement titulaire, je suis frustré avant le début du match.
Je rentre en jeu, joue 20 minutes et nous perdons le match. Nous sommes éliminés.
Après la douche, nous remontons en voiture et nous partons du stade.
Je monte à la place arrière gauche du véhicule.
Quelques courtes minutes plus tard, la tête dans mon téléphone, je sens la voiture glisser, j’entends un énorme choc et c’est le trou noir. J’apprendrai plus tard que le choc violent s’est produit du côté gauche du véhicule.
Je me réveille dans une voiture avec toutes les vitres explosées, du sang dans toute la voiture, le conducteur inconscient et les 3 autres passagers en dehors du véhicule. Tout le monde est en vie. J’essaie de m’extirper de là, sans succès. Mes jambes ne me répondent pas, elles ne bougent plus.
Je me vois mourir.
L’horreur ! D’une minute à l’autre, la vie bascule et je ne suis plus maître de rien. Je ne contrôle plus mon corps ni mon esprit.
Le lendemain, j’apprends que je suis paraplégique, à 29 ans, en pleine force de l’âge et en pleine forme physique (quelques heures avant).
Je resterai 1 an et demi dans un centre de rééducation, à passer toutes les étapes du deuil et du retour à l’autonomie.
Après un énorme travail physique et mental, pendant cette longue année, je suis sorti du centre de rééducation, debout, défiant les pronostics des médecins.
Je ne marche plus comme avant mais grâce à des orthèses et à un déambulateur je peux marcher sur quelques mètres alors que je devais, selon ma pathologie, rester assis à vie.
J’ai la chance d’être encore en vie donc je veux profiter de chaque instant et vivre ! J’ai appris ce jour-là que la vie ne tient qu’à un fil.
La persévérance est la clé de mon « succès ».
Aurélie GRIOT
Policière BADR LyonAurélie GRIOT
Policière BADR LyonIntervenir sur des accidents corporels de circulation, c’est mon quotidien. Je suis fonctionnaire de police et je travaille au sein de la Brigade des Accidents et Délits Routiers depuis janvier 2015.
J’interviens sur la voie publique lorsque l’accident est grave ou mortel. Je suis officier de police judiciaire. J’établis les premières constatations d’usage et je détermine les circonstances. Avant de partir en intervention, lorsque mon central m’appelle et m’annonce un accident mortel de la circulation et les circonstances de celui-ci, je soupire profondément, et je me dis qu’une vie s’envole. Encore une.
Sur les lieux de l’accident, je reste professionnelle mais lorsque j’arrive près d’un corps recouvert d’un linceul blanc et que je le soulève, mon cœur se fige. Il est douloureux de constater qu’une flamme s’est éteinte. Et je pense alors aux personnes qui sont derrière cette vie… Une femme… Un homme… Un enfant… Une famille… Et cette terrible nouvelle que je vais devoir leur annoncer. Il y a deux types d’accidents mortels : ceux que je considère comme la main du destin et ceux dont le mis en cause a commis une faute grave au sens pénal.
Face au destin, je me sens souvent désarmée, affligée de penser que c’était inévitable, que c’était écrit quelque part. L’accompagnement des familles dans cette épreuve est sensible, et compliqué. Les questions fusent mais malheureusement elles restent sans réponse. Et l’incompréhension et la douleur sont d’autant plus fortes que les victimes cherchent en vain des raisons.
Face aux mis en cause, je me sens en colère de constater durant les auditions qu’ils n’ont pas conscience d’avoir supprimé une vie, qu’ils n’ont pas conscience que leur comportement va briser non pas une vie mais des vies. Et tout cela parce qu’ils n’ont aucun respect des règles, parce qu’il y aura toujours des personnes immatures qui se sentiront supérieures aux autres derrière un volant et qui laisseront malheureusement une épouse, un mari, des enfants, ou des parents seuls. Désormais pour ces victimes plus rien ne sera jamais pareil. Il leur faudra apprendre à se reconstruire, à se battre pour avancer et continuer, à se battre parfois pour survivre et à ne pas se laisser aller, ni sombrer dans le chagrin.
Toutes ces victimes que je vois passer dans mon bureau, que je vois pleurer, que je vois perdues, devront trouver le courage ou la force de s’accrocher à leur vie. J’imagine avec elles, le bouleversement de leur quotidien. J’imagine avec elles leurs souffrances.
A chaque endroit où je suis intervenue dans le cadre d’un accident mortel de la circulation, j’aurai toujours cette image de la victime, et la pensée qu’ici une vie s’est envolée, qu’ici tout a basculé.
Anne HIDALGO
Maire de ParisAnne HIDALGO
Maire de ParisJe souhaite tout d’abord remercier chaleureusement l’association Vict’w Art pour le Projet [102], cette importante initiative citoyenne lancée il y a maintenant une année.
En matière de sécurité routière, on se focalise souvent sur les tendances de long terme et l’efficacité, constatée, de l’action des pouvoirs publics. C’est bien, car cela a permis une indéniable prise de conscience et une évolution salutaire dans les comportements des usagers sur les routes. On en oublie parfois qu’on pourrait faire bien davantage.
Pour faire davantage, il faut écouter et lire les témoignages poignants que recueillent les citoyens engagés et les associations à l’instar de Vict’w Art. On ne peut qu’être bouleversé par ces vies de femmes et d’hommes tragiquement brisées à la suite d’un accident de la route et de la perte d’un enfant. Ces destins marqués dans leur chair cherchent à se reconstruire, non sans douleur mais toujours avec une force et un courage extraordinaires. Ils nous obligent à faire davantage.
L’excellente idée du Projet [102] est d’utiliser la puissance des images et de l’art : l’acte artistique peut être un média formidable pour relayer le message sur les dangers de la route. Je me félicite que tant d’artistes se soient engagés dans ce projet citoyen.
En tant que Maire de Paris, je suis convaincue de l’importance cruciale des enjeux de sécurité routière. Je connais le décompte tragique des accidents qui marquent la ville tout au long de l’année. Depuis toujours, je me suis engagée pour protéger les usagers les plus vulnérables, et notamment les cyclistes et les piétons et, parmi eux, les enfants. Il faut apaiser la circulation automobile, en réduisant la vitesse, en faisant respecter les règles et en bannissant les chauffards.
Quand on le peut, il faut piétonniser pour que chacun ait sa place en sécurité ; c’est le cas par exemple des rues aux écoles qui se mettent en place devant certains établissements scolaires de la capitale afin de sécuriser les élèves.
Le Projet [102] a tout mon soutien pour que cette formidable initiative puisse toucher le public le plus large possible et continuer à sensibiliser les Françaises et les Français.
Professeur Hassan HOSSEINI
Professeur en neurologieProfesseur Hassan HOSSEINI
Professeur en neurologieMon rêve : réparer les corps et les esprits.
Pendant des années, j’ai été témoin de l’instant d’après l’accident. Un moment tragique qui divise la vie entre un avant et un après.
J’ai toujours été impressionné par la volonté et la force des victimes à vouloir assumer l’après accident. Et de notre côté, nous soignants, de puiser notre énergie dans l’amélioration progressive de nos patients.
Les victimes nous apprennent que le chemin de la récupération est lent et difficile. Elles se retrouvent seules face à leur handicap, malgré les efforts déployés par leurs proches et le personnel médical.
Même si les progrès de récupération sont trop lents, tous nos patients nous démontrent qu’il y a une vie possible après le drame qui les a frappés.
Une de mes patientes m’a expliqué que « AVP* » signifiait Agir Vivre et Progresser…
En ma qualité de neurologue, je sais combien le cerveau est fragile et à quel point il est primordial de tout faire pour le préserver. Je vois trois moments cruciaux pour aider à lutter contre les traumatismes liés aux accidents de la route. En prévention, il faut insister davantage sur tous les comportements à risque et à l’origine d’accidents, et leurs conséquences. Imaginez-vous ce que représente un choc à 60 km/h pour votre cerveau ? Visualisez-vous dans quel état vous laisserait un traumatisme crânien ?
Ensuite, en cas d’accident, il nous appartient de veiller à la qualité de la prise en charge. Les soins prodigués en urgence peuvent changer le pronostic vital et fonctionnel de la victime.
Enfin, dans les jours et mois qui suivent l’accident, il ne faut pas négliger l’importance des moyens de rééducation et d’accompagnement post-accident, afin de récupérer le maximum du handicap. Tout compte.
L’art peut être un outil thérapeutique pour favoriser une reconstruction pour certains patients. Ne nous en privons pas. Le corps et l’esprit blessés peuvent aussi retrouver confort auprès de la beauté artistique.
Mérédith JANNIARD
Assistante de service social, traumatologie, réanimation, chirurgie réparatrice, CHU de NiceMérédith JANNIARD
Assistante de service social, traumatologie, réanimation, chirurgie réparatrice, CHU de NiceÊtre assistante sociale hospitalière, c’est accompagner le patient à chaque étape de son hospitalisation mais c’est aussi accompagner sa famille. La présence et l’aide de l’entourage sont indispensables.
Leur souffrance doit être aussi entendue et prise en compte.
Quand un accident de la route se produit, avec de lourdes conséquences pour la victime, c’est l’équilibre de l’ensemble de la famille qui se retrouve fragilisé.
Mes principales missions sont l’écoute et la médiation entre le patient, la famille et l’équipe soignante. En effet, l’inquiétude, la culpabilité font que la famille du patient a besoin d’être rassurée, de se sentir soutenue et d’obtenir des réponses aux nombreux questionnements qu’elle se pose.
Quelles démarches administratives doit-elle entreprendre ? Combien de temps va durer la rééducation ? Quelle autonomie va pouvoir récupérer leur enfant ? Comment va se passer le retour au domicile après la rééducation ?
Ainsi, l’orientation du patient au sein des centres de soins de suite et de réadaptation (S.S.R) est une étape cruciale pour le devenir du patient qui, suite aux accidents les plus graves, va devoir faire face à une nouvelle épreuve : le handicap.
L’enjeu pour la sphère familiale est d’accepter le handicap. Réapprendre à vivre autrement, accepter un avenir différent de celui qu’on s’était imaginé ou construit avant l’accident. Il m’est arrivé de rencontrer un patient qui acceptait davantage son handicap que ses parents.
L’histoire de chacune des familles que nous rencontrons est différente. Notre approche, en tant que professionnels doit également s’adapter à leurs besoins, leurs difficultés et bien sûr, leurs ressources.
Clarisse JOSET
Assistante de service social, Hôpital Pitié-SalpêtrièreClarisse JOSET
Assistante de service social, Hôpital Pitié-SalpêtrièreParce que chaque vie est précieuse, parce que chaque vie à son importance, Respectons la route et ses usagers. Ne restons pas dans l’insouciance, pire dans l’ignorance. Oeuvrons tous ensemble pour combattre ce fléau qui frappe, brise, détruit, tue, Jeunes, enfants et adultes. Toutes catégories sociales confondues. Ensemble conscientisons à travers les témoignages, les récits de vies bouleversées, de vies Tragiquement éprouvées, de vies dramatiquement arrachées. 102 victimes, 102 vies volées, 102 enfants décédés, 102 enfants tués. 0 victime, 0 blessé, 0 accidenté, 0 tué, 0 famille endeuillée. Zéro. Ce chiffre tant espéré. 2022, hommage aux victimes et à ces enfants qui nous ont prématurément quittés.
Assistante sociale dans un service de traumatologie jusqu’en 2018, j’ai accompagné et soutenu des victimes d’accidents de la route, ainsi que leurs proches. Parmi eux se trouvaient de jeunes victimes et des adultes. Chaque situation était toujours difficile et éprouvante. J’accompagnais des victimes sorties de réanimation. Leur pronostic vital n’était plus engagé. Commençait alors pour eux, un long et douloureux parcours : l’acceptation et la reconstruction. Acceptation de leur état, acceptation du handicap, acceptation de ne plus être ce qu’ils étaient avant l’accident. A cela se mêlait bien souvent, l’annonce de la perte d’un être cher, d’un proche, d’un ami, présent dans l’accident.
Me vient en mémoire l’accompagnement d’une jeune fille âgée d’à peine 16 ans. Elle était si jeune et si vulnérable. Avec sa meilleure amie du même âge, elles étaient sorties avec des amis. Elles étaient assises toutes les deux à l’arrière du véhicule. La jeune fille était attachée mais pas son amie qui était assise au milieu de la banquette arrière. Un soudain et violent accident s’est produit. Il coûta la vie à sa meilleure amie.
La jeune fille que j’accompagnais a appris le décès de sa meilleure amie, quelques jours après son hospitalisation. Physiquement ? Elle allait s’en sortir, après une prise en charge médicale adaptée et de la rééducation. Mentalement, psychologiquement ? Le chemin allait être long, très difficile et éprouvant. Cette jeune fille n’a pas été amputée physiquement, mais a été amputée d’une partie d’elle-même, de son innocence de jeune adolescente, de sa joie de vivre. Comment continuer à vivre après un tel drame ? Comment trouver la force de se reconstruire et d’aller de l’avant après avoir survécu si jeune, à une telle tragédie ?
Claire KESTEMONT
Chargée d’indemnisation, Fonds de garantie des victimesClaire KESTEMONT
Chargée d’indemnisation, Fonds de garantie des victimesJe suis chargée d’indemnisation au sein du Fonds de garantie des victimes depuis 18 ans.
Juriste de formation, j’ai rapidement souhaité intégrer le Fonds de garantie dont la mission de service public, entièrement dédiée aux victimes, avait beaucoup de sens à mes yeux.
Cet organisme a pour mission de prendre en charge les victimes ou leurs ayants-droits au nom de la solidarité nationale lorsque le responsable de l’accident n’est pas assuré ou demeure non identifié.
J’ai eu à connaître des accidents ayant causé la mort d’enfants et ces affaires ont toujours eu une résonance très particulière.
Confrontée à ces drames, une question s’est immédiatement posée à moi au début de ma carrière : comment l’indemnité offerte, telle que prévue par le droit français, pourrait-elle
« réparer » la perte d’un enfant, d’un être fauché à l’aube de son existence ? Comment l’indemnité pourrait-elle réparer l’irréparable, une blessure si vive, une famille à jamais privée de l’un de ses membres ?
J’ai compris, notamment au contact de parents endeuillés avec lesquels j’ai eu l’occasion d’échanger, que cette réparation, et notamment l’indemnité offerte par le Fonds au titre du préjudice d’affection, représentait une étape importante, une reconnaissance nécessaire dans le difficile processus de reconstruction après le traumatisme vécu.
Cette réparation, c’est aussi dire aux victimes que la société est là, qu’elle reconnaît leur souffrance et qu’elle la prend en compte. C’est peu et beaucoup à la fois.
Avec mes mots, à travers nos échanges, j’ai toujours eu à cœur de rassurer les parents qui, confrontés à un deuil soudain et difficilement acceptable, doivent aussi faire face à des démarches qui représentent une épreuve supplémentaire.
Ma plus belle récompense est de comprendre que j’ai pu, en faisant tout pour rendre leur procédure d’indemnisation la plus simple possible, apporter un peu de sérénité à des personnes que je sais profondément et à jamais meurtries.
Car le Fonds de Garantie des Victimes s’est donné pour objectif, au-delà de son rôle d’organisme payeur, d’accompagner les victimes de façon personnalisée, à travers un chargé d’indemnisation dédié, un interlocuteur unique joignable directement afin de répondre à toute question suscitée par la procédure d’indemnisation. Ce rôle, c’est précisément le mien. Il me tient à cœur.
Ce chargé d’indemnisation peut proposer des solutions individualisées, débloquer des fonds rapidement lorsqu’un préjudice financier l’exige, mettre en place une expertise médicale, afin d’évaluer de façon très précise les conséquences de l’accident pour les proches de la victime décédée et d’offrir une indemnisation adaptée à chaque situation.
S’associer au Projet [102] me permet, à travers le Fonds de Garantie des Victimes, de rendre hommage à ces jeunes vies, injustement fauchées.
Docteur Philippe-Xavier KHALIL
Médecin chef Pôle Santé MentaleDocteur Philippe-Xavier KHALIL
Médecin chef Pôle Santé MentaleSang d’eux
Sang 3. Marius a 4 ans, il adore son chaton.
Chaton adore vagabonder, s’égarer.
Marius ne peut se passer de son chaton.
Il s’évapore de l’attention de ses parents.
Marius va courir plus vite que chaton mais les voitures aveugles sont plus
rapides encore que Marius qui ne voit que chaton.
C’est maintenant une étoile dans le ciel qui veille sur chaton !
Sang 4. Heureux retour de plage à 5 ans.
Jouer au ballon, se voir en champion. Ivre de soleil, de sel.
Mais surgit une ombre folle, aussi éblouie de soleil qui plonge
Arthur dans les ténèbres.
Sang 5. Louis n’est que sourire, il a 4 ans et adore danser au
supermarché, il fredonne. Fin des courses, il bondit du chariot.
Court vers la voiture, chantant son air favori.
Il n’entend pas la voiture qui arrive pressée, trop pressée.
Louis percuté s’effondre, un petit air, un petit être s’évanouit sur le bitume !
Typhaine LACROIX
Victime de l’ombre d’un accident de la circulationTyphaine LACROIX
Victime de l’ombre d’un accident de la circulationSamedi 27 octobre 2018, 17h30. Un après-midi « ordinaire » entre copines, et ce soir, je présente Pauline, ma compagne, à mon frère et sa copine. Pas question d’y aller les mains vides, on s’arrête chez le fleuriste. Pauline se gare sur le trottoir et reste sur son scooter pour repartir rapidement une fois le bouquet acheté. Elle garde son casque. J’entends un énorme bruit venant de dehors. Je ne m’inquiète pas pour Pauline, elle est en sécurité sur le trottoir…
Je sors… Je ne reconnais plus rien du décor que j’ai laissé moins d’une minute avant. C’est un véritable chaos. Je ne vois plus Pauline… Je la cherche. Elle doit être en train d’aider des victimes. Je vois son scooter couché par terre, totalement désossé. Je panique. Je vois des gens par terre, du sang… J’entends hurler mon prénom. C’est la voix de Pauline…
Elle est allongée au sol, loin de son scooter. Elle n’a plus son casque. Je vois son visage ensanglanté mais c’est superficiel. Elle n’est pas défigurée, je suis rassurée. Elle me regarde avec ses yeux bleus, elle hurle, elle a peur…
Elle ne sent plus sa jambe, elle me demande ce qu’il s’est passé…
A partir de là, cette journée n’a plus rien eu « d’ordinaire », notre vie n’aura plus rien
« d’ordinaire ».
Je regarde ses jambes. Un homme lui fait un garrot avec sa ceinture.
Sa jambe gauche semble coupée, mais je dois avoir mal vu, je refuse de vérifier, ça ne peut pas être ça… J’essaye d’empêcher Pauline de regarder, je veux qu’elle soit certaine d’une chose « Je vais t’aimer toute la vie ».
Les pompiers sont là. Je cherche son téléphone. Contre un muret, deux personnes très âgées. Je les pense victimes elles aussi. Il s’agissait en fait du conducteur de la voiture responsable de ce drame. Je vois la jambe gauche arrachée de Pauline…
Les pompiers vont emmener Pauline à l’hôpital. Elle hurle et me réclame.
Je n’ai pas le droit de l’accompagner, mais je vais la suivre en voiture, avec mes meilleures amies qui m’ont rejointe. Avant de partir, Pauline me demande de lui jurer qu’ils vont lui
« recoller » sa jambe. Je lui promets, pour la rassurer et parce que je l’espère très fort.
Je ne la reverrai qu’en salle de réveil, après des heures d’attente, une lourde opération et l’annonce qui allait changer toute notre vie : Pauline a perdu sa jambe gauche…
Depuis 3 ans, nous essayons de retrouver une vie « ordinaire », malgré les séquelles
« extraordinaires » de notre drame. Pauline a été blessée physiquement. J’ai tout vécu avec elle, tout, pour elle, mais aussi pour moi, pour me soigner moi, pour me reconstruire moi, moi qui n’ai pas été blessée physiquement… Les fameuses blessures invisibles dont on m’a tant parlé, et qui ne m’évoquaient pas grand chose. Aujourd’hui, je mesure toute la dimension de ces blessures invisibles.
Le chemin vers la reconstruction est encore long, il prendra toute une vie mais elle sera faite, je nous le souhaite, de moments « extraordinairement ordinaires ».
Jean-François LAFFORGUE
Coopérant Gendarmerie auprès de l’Ambassade de France en AfghanistanJean-François LAFFORGUE
Coopérant Gendarmerie auprès de l’Ambassade de France en AfghanistanLes drames de la sécurité routière sont un quotidien inhérent au métier de gendarme. Presque aucun dans sa carrière n’y échappera. Pourtant, rien ne prépare véritablement ce professionnel de la sécurité au choc émotionnel qu’il ressentira à chaque intervention.
Car chaque accident mortel qu’il vit est un jour où tout s’arrête. Particulièrement quand les décès concernent un enfant.
Car chaque accident mortel sera un drame qu’il devra vivre plusieurs fois. Dans la violence des constatations. Dans la violence extrême de l’annonce aux parents.
L’accident de la route est un drame absolu pour lequel aucun usager n’anticipe sa survenue, aucune famille n’attend qu’un parent soit touché. Aucun proche n’est préparé à la douleur occasionnée par un tel cataclysme. Un moment d’inattention du conducteur, une vitesse excessive, l’usage de produits illicites, le téléphone au volant, la pause qui n’a pas été faite, le capitaine de soirée qui n’a pas été désigné, une voiture pas révisée… autant de raisons futiles pour des conséquences tellement dramatiques.
Et vous arriverez, avec les unités de secours au chevet des morts et des blessés, pour protéger la scène du drame terrible d’un sur accident, pour constater le plus froidement possible les causes, pour acter les témoignages, pour établir les circonstances, pour relever l’alcoolémie ou les traces de produits stupéfiants sur les conducteurs, morts comme blessés, pour faire cette enquête qui sera indispensable aux parties en présence.
Mais il n’y aura pas d’échappatoire. Quel que soit le professionnel, quelle que soit l’expérience, vous vivrez ce drame avec vos tripes, dans les cris, dans les pleurs, avec des images d’horreur qui se rajouteront aux précédentes images. Vous rentrerez à l’unité. Et vous devrez revivre ce drame dans la violence extrême de l’annonce aux parents.
Cette violence c’est vous qui allez la provoquer.
Vous arriverez dans une famille insouciante qui attend le retour de son enfant. Et vous devrez réduire ce bonheur à néant !
Ce seront des scènes de déchirement qui prolongeront l’onde choc de l’accident et qui feront comprendre que les victimes ne sont pas seulement dans la voiture.
Il n’y a pas de formation pour cela. Vous essaierez juste d’être le plus humain possible, mais ça ne suffira pas : leur vie vient de basculer.
Nous sommes les messagers de l’horreur. Et quand les victimes sont des enfants, il y a une dimension supplémentaire pour la souffrance insupportable des parents. Leur déni d’abord, leur refus d’accepter, leurs hurlements qui viennent vous prendre au plus profond de votre être.
On n’oublie pas ces moments qui emportent, à chaque fois, une partie de nous même.
Frédéric LAUZE
Chef de la police du Val d’OiseFrédéric LAUZE
Chef de la police du Val d’OiseIl s’appelle Victor. Il a 20 ans. Il rêvait d’être médecin urgentiste. Il était en 2ème année de médecine. C’était pour lui une évidence : sauver des vies, explorer le corps humain, aider les âmes souffrantes. Il hésitait entre pédiatrie et SAMU. Etudes, révisions, pas de répit. Heureusement qu’il y avait les soirées étudiantes pour lâcher prise, exutoire assumé et bien mérité !
Lui, s’appelait Lucas, il avait 10 ans. Comme nombre de gamins, il voulait être policier ou pompier. Malgré son jeune âge, il sentait bien que c’était différent d’un métier, c’était une vocation : aider les autres. Tous les soirs, avant de s’endormir, il jetait un dernier coup d’œil à la photo où il était en tenue de pompier sur la grande échelle, qui montait vers le ciel.
Finalement, Victor et Lucas avaient dix ans de différence. Ils auraient pu un jour travailler ensemble, en équipe : le médecin urgentiste et le pompier ou le policier.
Ce soir-là, après son partiel, Victor s’est lâché et a bu tout au long de la soirée. Il a pris sa Clio vers 23h. Sa chambre étudiante était tout juste à 4 kms. Il n’allait quand même pas prendre un taxi pour 4kms sur une route qu’il connaissait par cœur ! A 23h10, sa Clio a perdu le contrôle… et lui aussi… et l’alcool a pris en main son destin. Alors Victor a permis à Lucas de réaliser son rêve : assister à une véritable opération des pompiers et de la police.
Sa Clio est rentrée frontalement dans la voiture de la maman de Lucas.
Cage thoracique enfoncée, conscient, les yeux ouverts, haletant, une sale plaie saignante au cou, Lucas entendait sa mère qui hurlait de terreur et de douleur. Il se sentait progressivement partir.
Il a pu observer le bal des sauveteurs : la lumière intermittente des gyrophares, le crépitement de la radio, les ordres secs et précis du policier qui organisait un périmètre de sécurité, les pompiers qui se préparaient à désincarcérer les passagers. L’un des policiers essayait de lui parler mais ses mots s’étiolaient dans la tête de Lucas comme un bourdonnement lointain.
Victor sortit de son véhicule légèrement commotionné. Il observa hagard la scène cauchemardesque. Il avait enfin pu passer de la théorie à la pratique, en observant le médecin du SAMU, arriver sur les lieux, poser des questions précises aux pompiers et déployer son matériel.
Lucas respirait de plus en plus faiblement. Son regard a croisé celui de Victor dont la tête tournoyait avec une envie de vomir de plus en plus pressante, une envie furieuse de se réveiller loin de ce cauchemar.
Lucas, lui, s’est senti aspiré. Il a monté les barreaux de la grande échelle en toute légèreté alors que les cris et les râles de sa mère devenaient de plus en plus lointains. Lucas est décédé à 00h45. Le lendemain au secrétariat de la Délégation à la sécurité routière, sur le tableau excel dédié aux accidents mortels, dans la case « décès enfant », le numéro 101 s’est effacé pour afficher 102.
Anne LAVAUD
Déléguée générale, Association Prévention RoutièreAnne LAVAUD
Déléguée générale, Association Prévention RoutièreLa rue et la route constituent notre premier réseau social. Un réseau vaste, ouvert sur le monde, plein de promesses et d’aventures. Un réseau universel, sans discrimination et totalement inclusif. Un réseau humain, civique, voué aux échanges et aux interactions. Un réseau où devraient dominer la communication, la tolérance et le respect.
Un réseau où chacun d’entre nous devrait pouvoir se mettre à la place de l’autre et comprendre sa vulnérabilité. Bref, un réseau serein et apaisé.
« Un doux rêve », diraient certains. « Une utopie », diraient les autres. A ceux-là, nous devons opposer la dure réalité du quotidien qui fauche, sur les routes de France, 9 personnes par jour et provoque 25 fois plus de blessés… sans compter les routes du monde sur lesquelles meurent 1,350 million d’enfants, de femmes et d’hommes qui avaient tous la vie devant eux.
Comment un réseau social si prometteur se transforme en grande faucheuse ? Quels comportements inappropriés conduisent à ces drames ? Quels imaginaires de puissance emportent certains vers des prises de risque inouïes ? Le flux et le rythme des questions n’en finiront jamais tant l’injustice qui frappe ces victimes innocentes ne cesse de nous interpeller.
L’association Prévention Routière s’est engagée depuis plus de 70 ans sur le chemin de l’éducation routière, convaincue que seule cette voie pouvait amener au changement des comportements. La tâche est ardue et les avancées souvent trop lentes face à l’ampleur du problème. Cependant, avec foi et engagement, nous gardons le cap sur un objectif unique et fondateur « zéro tué sur nos routes ».
L’atout de l’âge et de la longévité est de pouvoir évaluer le chemin parcouru et de le baliser de petites ou grandes victoires. Au chapitre de nos victoires, figure en bonne place le continuum éducatif. Inscrit dans les textes, il s’agit de diffuser des messages de prévention routière tout au long du parcours scolaire classique, sans oublier les CFA (Centre de formation d’apprentis) ou les IME (Instituts médicaux éducatifs). Cette constance dans l’éducation et la fréquence des messages de prévention à tous les âges de la construction des enfants, adolescents et jeunes adultes sont pour nous essentiel à une vision apaisée de notre vie sur notre premier réseau social. Reste que l’éducation ne cesse pas à 18 ans, âge auquel commence souvent la pleine autonomie sur la route et dans la rue. Aussi, devons-nous poursuivre ce continuum bien au-delà et trouver toutes les occasions pour convaincre les enfants devenus adultes d’adapter leurs comportements.
Aujourd’hui, nous déployons des programmes et des actions facilement accessibles en ligne pour une diffusion élargie. Aujourd’hui, nous portons auprès des pouvoirs publics la volonté de voir se renforcer l’éducation routière dans une approche élargie vers la citoyenneté, l’écologie et la tolérance.
Delphine LAVOINE
Victime et maman d’une victime d’un accident de la routeDelphine LAVOINE
Victime et maman d’une victime d’un accident de la routePar un beau matin d’hiver ensoleillé, j’étais sur le marché de Croix avec ma fille, Cléo 3 ans et ½ et mon fils, Paul 8 ans. Nous choisissions des jolies fleurs. Quand tout a basculé. Mon fils a crié le premier voyant une voiture foncer sur le marché ! Il a hurlé fort, très fort mais c’était trop tard pour nous. Si la voiture a frôlé Paul, elle nous a percuté ma fille et moi, de plein fouet, à très vive allure, nous projetant toutes 2 sur les étals des marchands. La conductrice âgée de 89 ans avait confondu le frein avec l’accélérateur sur une voiture automatique.
Allongée au sol, je me souviens des cris de la foule, des gens qui pleurent, des gens qui courent… Et puis, une dame s’est approchée de moi. Elle m’a rassurée en disant qu’elle était infirmière, que je ne devais pas bouger, qu’elle faisait un garrot car beaucoup de sang coulait et qu’elle resterait avec moi jusqu’à l’arrivée des secours. Mais mes enfants étaient ma 1ere préoccupation. Là encore, elle m’a expliqué qu’un médecin était présent et que l’on s’occupait d’eux. Pourtant, les cris et les pleurs de Paul étaient bel et bien présents.
Enfin, les sirènes de pompiers retentirent, j’ai cru à la délivrance ! Mais non, les personnels du SAMU n’arrivent pas à moi. Je m’inquiète mais l’infirmière m’expose qu’une autre personne est plus gravement touchée que moi, qu’elle a besoin de soins et qu’un 2ème SAMU va arriver. J’acte la situation sans savoir que cette fameuse personne était en fait MA FILLE.
Toutes 2 en ambulance escortées par la police vers le CHRU de Lille, nos vies prennent une nouvelle voie. La famille toute entière est bouleversée, nos vies changent.
Réanimation, interventions chirurgicales, caisson hyperbare tous les jours, greffes, amputations, rééducation, appareillage, pansements, psychiatre, médecins de la douleur…
Toutes 2 amputées, ma fille au niveau de la hanche et moi sous le genou : l’horreur. Mais après la prostration, la colère, les pleurs, la douleur, il faut bien vivre… Ma fille est en vie après des jours et des jours en réanimation et mon mari est là, présent, aidant, rassurant, aimant.
Alors, je reprends ma vie en main avec la rééducation, un prothésiste grenoblois qui m’aide à mieux marcher, une psychiatre et autres médecins. Cette nouvelle vie, je ne l’ai pas choisie. Elle ne me plait pas mais je fais face pour ma famille, pour ma fille, parce que la vie vaut la peine d’être vécue.
Et, aujourd’hui, j’aimerais vraiment qu’une loi soit actée afin que des tests d’aptitude à la conduite automobile soient obligatoires. Pour que d’autres drames comme le nôtre soient évités !
C’EST POSSIBLE ! IL LE FAUT !
David LE SANN
Victime d’un accident de la routeDavid LE SANN
Victime d’un accident de la routeJ’ai 43 ans et 2 enfants. Je suis masseur-kinésithérapeute libéral.
Passionné de sport depuis ma jeune enfance, je pratique assidument la course à pied. J’ai d’ailleurs relevé le défi de participer à mon premier Marathon à Paris, en octobre 2021.
Le 8 mai 2002, j’ai été victime d’un traumatisme crânien très grave, suite à un accident de la voie publique, n’ayant pas engagé ma responsabilité : hémiplégie droite partielle, fracture de l’épaule droite et troubles cognitifs. J’ai été conduit au CHU de Rennes par les pompiers. Admis, d’abord en réanimation, j’ai poursuivi, une fois sorti du coma, avec 3 semaines d’hospitalisation au service de neurochirurgie. Puis, j’ai été transféré au Centre de Rééducation Fonctionnelle à Betton. Ma rééducation y a duré 7 mois, en internat puis en externat. Le médecin-chef coordonnait mes différentes thérapies : kiné, ergo, soins médicaux, infirmiers, psychologiques…J’avais alors 24 ans, j’exerçais ma profession depuis 4 ans, en libéral.
Je vivais en couple à Rennes.
De mon témoignage, j’aimerais faire ressortir en premier lieu la richesse des interactions et échanges humains avec les personnes qui étaient en rééducation avec moi, avec des degrés différents de handicap. Ensuite l’efficacité et l’adaptabilité des soignants toujours sans faille.
Enfin l’omniprésence de ma famille qui a été motrice dans ma rééducation. Dans ce parcours de rééducation difficile, je suis toujours resté motivé et confiant. J’ai eu la sensation de commencer à interpréter autrement le soin et la relation à l’autre… et la vie.
Ma récupération fonctionnelle avait bien progressé et je devais tester la reprise du travail. Après une mise en situation de 2 semaines au Centre Hospitalier de Saint-Malo, j’ai eu une proposition de travail au service de neurochirurgie du CHU de Rennes : je suis devenu kinésithérapeute référant du service de neurochirurgie, là-même où j’ai été patient durant 9 mois. Pouvoir reprendre mon métier au sein du service de qui m’avait accueilli à ma sortie du coma, fait partie de mes plus beaux souvenirs.
Avec le recul, je ne cesse de louer la disponibilité des aidants que j’avais mis à rude épreuve dans mon souhait et élan de reconstruction.
Mais tous les dégâts et séquelles des accidents de la route ne sont pas toujours récupérables. Nous devons en être conscients et faire tout pour que cela n’arrive pas.
Cette épreuve révolue m’a montré la force que dégagent les relations humaines, m’a ouvert les yeux sur le monde de la rééducation et de la dépendance. Je ne saurais que louer les actions de prévention routière entreprises auprès des jeunes et des moins jeunes.
Je clame vivre une deuxième vie. Je suis devenu plus humain, à l’écoute de l’autre. Je suis épanoui et m’investis au niveau associatif dans ma ville. N’attendons pas un accident de la route pour être plus généreux, humain et solidaire !
Fabienne LEBORGNE
Victime d’un accident de la routeFabienne LEBORGNE
Victime d’un accident de la routeSi l’on me voit assise sur mon canapé, tout le monde voit une femme. Si l’on me voit dans mon fauteuil roulant, certains voient une « pauvre handicapée ». Et pourtant, je suis la même. Je suis une femme. Une femme qui se déplace en fauteuil roulant.
J’avais neuf mois lorsque ma vie a basculé. Neuf petits mois quand un homme a cru judicieux de doubler dans un virage. A l’âge où l’on apprend à marcher, on apprenait à ma famille que je ne marcherai jamais. A l’âge où l’on est inséparable de sa mère, j’étais séparée de la mienne à jamais. A l’âge où l’on connaît l’amour paternel, je vivais son rejet.
Suis-je une victime ? Absolument pas ! L’ai-je été ? Evidemment ! J’ai été victime d’un accident de la route qui m’a rendue handicapée. Être une enfant handicapée ce n’est pas uniquement ne pas marcher. C’est aussi perdre son insouciance et son innocence. C’est passer de nombreux mois à l’hôpital, subir plusieurs opérations, faire quotidiennement des séances de kiné. C’est être expert en termes médicaux. C’est souffrir avant de rire. C’est être différente des autres enfants.
Il y a eu des sentiments de colère, de tristesse, d’injustice. Des sentiments logiques et nécessaires pour me permettre de faire le deuil d’une enfance et d’une adolescence « normales » où j’aurais pu sauter dans les bras de mon père et ma mère, et courir avec mes amis.
Ensuite, j’ai appris à accepter mon histoire, mes blessures, mon handicap. J’ai compris que je pouvais transformer mes fragilités en forces et ma singularité en atout. C’est à partir de ce moment-là que j’ai choisi de regarder tout ce que mes fabuleuses roues me permettaient de faire. Et là, tout s’est transformé ! J’ai décidé de vivre ma vie avec plaisir et légèreté. J’ai pris du plaisir à tester de nouvelles activités. Ski, plongée sous la glace, tyrolienne, char à voile… je suis toujours partante pour de nouvelles aventures. C’est ce goût de l’aventure qui m’a amenée dans le désert. C’était mon rêve. Et selon moi, les rêves sont faits pour être réalisés. Alors, il y a quelques années, j’ai décidé de réaliser l’un des miens : dormir dans le désert ! Un séjour inoubliable ! Cela m’a demandé de l’organisation mais cela a été possible. Je crois que c’est vraiment cela la clé : accepter que ce sera souvent plus compliqué mais que cela restera possible.
Avoir réussi à accepter mon histoire a également transformé mes relations avec les autres. Enfin en paix avec moi-même, les relations sont devenues plus saines et sereines.
Lorsque je me retourne sur mon passé, je vois tout le chemin parcouru. Je vois cette chenille renfermée devenue aujourd’hui un papillon qui déploie ses ailes. Aujourd’hui, je suis une femme épanouie qui assume son histoire. Ecrire ce texte en est la preuve…
Merci à ma grand-mère, ma tante, ma mère, celles qui font la femme que je suis aujourd’hui…
Gérard LEFORT
Victime d’un accident de la route, comédienGérard LEFORT
Victime d’un accident de la route, comédienAccident de la route en 2003. Changement de statut : de bipède je deviens « à mobilité roulante » !
Avant j’étais judoka, 3ème dam, 7ème aux championnats de France universitaires, avec un brevet d’état de professeur. Ça, c’était avant.
Maintenant, je ne marche pas. J’ai eu un accident de la voie publique le 6 novembre 2003 avec ma 25ème moto. J’allais bosser, j’étais crevé, j’étais instituteur à 70 kms de chez moi.
Je ne me rappelle plus de rien.
En 2005, j’ai acheté mon premier side-car, ma 26ème moto. En 2016, on m’a livré ma 30ème moto, un side-care Avinton, une merveille.
Depuis que je suis paraplégique, j’ai parcouru plus de 200 000 kms à moto, avec toujours le même sourire, la même joie, le même bonheur d’être dehors, d’avoir cette vision panoramique et d’éprouver cette sensation de liberté.
Dans un parcours de vie, un tel accident amène énormément de bouleversements. Des bouleversements négatifs, comme ceux sur la vie affective et sexuelle, mais aussi des bouleversements positifs. Grâce au handicap, j’ai rencontré plein de personnages extraordinaires.
Alors oui j’aime la vie, et je crois qu’elle m’aime aussi !
Dans le cadre du Projet [102], auquel j’ai contribué, je contribue, j’ai eu la grande chance de rencontrer l’illustre Jérôme Mesnager. Tout de suite le courant est bien passé entre lui et moi. Peut-être est-ce aussi parce que nous sommes motards. Et me voilà sur sa super moto, ma super moto.
Merci à toi Jérôme, et à vous tous, artistes, témoins, pour votre accompagnement dans cette lutte pour la VIE.
Dorothée LEURENT
Mère d’une victime décédée suite à un accident de la route.Dorothée LEURENT
Mère d’une victime décédée suite à un accident de la route.Qu’y a-t-il de plus traumatisant qu’un accident ? Qu’il soit de moto, comme celui de mon fils ou d’une autre sorte, tout aussi brutale…
A partir de 23 heures, ce soir étrange où il n’est pas rentré, sa petite amie et moi, avons commencé sérieusement à nous inquiéter, puis la terreur est montée petit à petit, comme de petits rats qui s’appliqueraient à ronger le cerveau et les tripes. On a appelé, moi, les hôpitaux, elle, les commissariats, jusqu’à cette phrase qu’elle prononce et que je ne comprends pas :
« Comment çà décédé ? »
Dans ce vortex qui vous avale, au milieu du bruit de cette déflagration, la respiration s’embrouille, les viscères se serrent, la vie tangue et se naufrage. Ces secondes resteront toujours gravées en moi comme un coup de poignard à mouvement perpétuel.
Alors l’après ? La souffrance change de forme et de couleur mais ne s’efface pas, les ombres noires, ces mangeuses d’âmes, tournoient de plus en plus insistantes autour de mon esprit et je pressens qu’il faut chercher la lumière ou sombrer, je suis partie vers les sources du Gange, là où chaque poussière reflète l’univers…Dans mon état de zombie, en Inde, je regarde distraitement passer une procession joliment bigarrée et je me souviens très bien de cet instant où une éclaboussure de soleil se pose sur moi, en m’éblouissant, comme si elle me choisissait et je ressens encore mon étonnement devant ce premier et puissant éclat de joie qui tout à coup m’envahit et me pénètre profondément, jusqu’au bonheur.
Alors, ainsi la vie vient vous chercher ? Elle nous appelle, timidement, doucement, sur la pointe des pieds et envoie de petits cailloux blancs que l’on ramasse, ou pas, afin de trouver son chemin.
Pour être résilient, faut-il être un inconditionnel de ce mouvement de la vie ? Il est comme une symphonie, avec des violons aux sons déchirants, des tambours assourdissants, des trompettes allègres et des quantités de belles nuances, mezzo piano, mezzo forte ?
Faire ce bond en avant afin de rejaillir, vers une réalité augmentée de soi, la réalisation de sa légende personnelle, c’est une belle histoire, celle de la résilience. J’étais alors rédactrice, je suis devenue écrivain, je voulais témoigner de la souffrance en premier lieu et surtout lors de mon deuxième ouvrage de la beauté de la résilience quand on ose la reconnaître.
Je la raconte dans ce nouveau livre : « Les Chemins de la Résilience » qui explique la façon dont les êtres, confrontés à l’épreuve de la douleur, activent, ou non, leur force de vie.
En commençant par Ovide, puis Victor-Hugo, Kipling, en passant par des célébrités d’aujourd’hui tel qu’Éric Clapton, Elisabeth Depardieu, Pierce Brosnan, Stéphanie Fugain ou Keanu Reeves et des neuropsychiatres reconnus, ce livre explique ce qu’est la résilience, comment s’en servir, se l’approprier, la posséder, afin d’aller malgré tout, malgré nous, vers la Joie…C’est tout ce que je vous souhaite.
Dorothée LEURENT, auteure, Les Chemins de la Résilience et Surmonter l’épreuve, Aimer à nouveau la vie.
Cyril LEVAN
Infirmier de neurochirurgieCyril LEVAN
Infirmier de neurochirurgieDes rencontres… Des chemins qui se croisent… Des fragments d’histoire… Chaque soignant garde enfouis des souvenirs stratifiés dans les terrains profonds de la vie hospitalière. Soumis à l’épreuve du temps, certains vécus marquants refont surface brusquement par pigments. C’est le cas pour cette jeune patiente de 22 ans, que j’appellerai Mlle M., dont l’histoire reste gravée dans ma mémoire, à l’encre de tatouage ; car elle en possédait une dizaine de jolis dessins, allant de la rose au phœnix, en passant par l’écriture en italique de la célèbre phrase nietzschéenne « Tout ce qui ne te tues pas te renforce ». Je les visualise encore tous ces symboles colorés qui ornaient ses bras et son dos. Elle me disait que ses tatouages racontaient son histoire. Bien que façonné par plus de 10 années d’expérience auprès de patients polytraumatisés, je me souviens que son accompagnement fut l’un des plus déroutant.
Mlle M. devait subir une intervention au dos avec l’espoir de soulager ses douleurs d’origine neuropathique. Elle décrivait des sensations de décharges dans les 4 membres et au niveau des cervicales, qui « pourrissaient sa vie à la maison ». Tétraparétique depuis son accident, son seul mouvement du bras droit lui permettait tout juste de porter sa cigarette à la bouche, d’utiliser son téléphone portable et de conduire, assez habilement d’ailleurs, son fauteuil roulant électrique. Deux ans déjà qu’elle avait été victime de cette sortie de route en voiture, en excès de vitesse… Et pourquoi elle ? Elle qui occupait la place de passagère arrière ; elle qui a eu encore moins de chance que le conducteur ; elle qui, enjouée et insouciante, découvrait à peine la vie d’adulte. Elle vivait dès lors au dépend de sa maman dans l’attente d’un appartement adapté à son handicap, avec ses rêves à présent illusoires.
De son accompagnement je garde un sentiment de malaise mêlé à une impuissance. D’emblée, Mlle M. avait développé un comportement inadapté qui rendait sa prise en charge complexe pour l’équipe soignante. Elle naviguait entre hyper sollicitations et autoritarisme : elle nous appelait sans cesse pour qu’on puisse la réinstaller. Nous avions beau venir, essayer, revenir, réessayer, mettre des coussins, écouter ses demandes… Rien ne pouvait la soulager. « Ça fait longtemps que j’appelle » ; « C’est pas comme ça ». « Je ne suis pas dans une bonne position, mettez-moi autrement ». Parfois, en regroupant mes soins, il m’arrivait de rester 1 heure dans sa chambre, enchainant les soins quotidiens et les soins techniques, mais Mlle M. restait froide. Nous ne pouvions pas effacer l’accident et son état, rien ne pouvait donc la soulager… Ecorchée, elle ne pouvait qu’en vouloir au monde entier et nous étions là.
Que retenir ? Nous sommes vulnérables sur la route, et bien plus que la vie, c’est l’existence qui est sacrée (la liberté aussi). Enfin, souffrance et espérance partagent bien plus qu’une belle consonance poétique.
Isabelle LEYNAUD
Sœur d’une victime décédée suite à un accident de la routeIsabelle LEYNAUD
Sœur d’une victime décédée suite à un accident de la routeLe 28 août 1983.
38 ans que la vie s’est arrêtée pour toi …
Et pourtant, tout était parfait, le bonheur…
Et puis BOUM…
Coup de téléphone, ravin… La faucheuse est passée…
Notre vie a changé de couleur.
Nos parents dévastés.
Notre fratrie amputée.
Ton fils est né 6 mois plus tard.
La vie a continué, avec d’autres décès accidentels,
nous déclenchant angoisses et phobies de la route.
C’était il y a longtemps, c’était hier…
Tu aurais 60 ans cette année,
Et… J’ai oublié le son de ta voix…
La vie est précieuse et belle.
Jérôme LEYNAUD
Sapeur-pompierJérôme LEYNAUD
Sapeur-pompierIl est 9 heures du matin, avec mes collègues sapeurs-pompiers, médecins et infirmiers du SMUR, nous tentons de toutes nos forces et avec acharnement, pendant presque 2 heures, de rendre la vie à ce garçon, gisant à 30 mètres de son scooter.
Il vient de se faire percuter par un chauffard.
Malgré tous nos efforts, le médecin annonce à ce papa l’issue fatale.
L’accident de trop, ce toubib change de visage en nous exprimant sa colère et son désespoir de ne pas avoir sauvé ce gamin, son ras-le bol de voir ces atrocités, d’être obligé d’accepter l’inacceptable…
Pourtant nous sommes entraînés et conditionnés pour intervenir sur tous types de sinistres et d’accidents, nous essayons de nous endurcir et de nous détacher de tous sentiments, nous évacuons nos émotions au retour de nombreuses interventions par des méthodes que nous sommes les seuls à comprendre… mais c’est toujours douloureux.
Après ma garde, je vais rentrer à la maison, embrasser mes enfants du même âge et leur raconter sans détails, qu’un garçon de 15 ans est mort à cause d’un chauffard, alcoolisé et sous stupéfiants.
En écrivant ce témoignage, je revis cette tragédie comme si c’était hier, malgré 15 années passées. Je revois toutes les vies perdues au cours de mes nombreuses interventions depuis plus de 30 ans.
A quelques années de la retraite, et grâce à mon expérience, je confirme que la majorité des accidents est due à la vitesse, l’alcool et la drogue… Ces drames sont les conséquences de l’inconscience, de la bêtise, de l’égoïsme aussi, de ceux qui sont certains que rien ne peut leur arriver, ni à eux, ni à ceux dont ils vont briser ou voler la vie…
Carine LOISON
Victime d’un accident de la routeCarine LOISON
Victime d’un accident de la routeLe 26 mars 2018, Hôpital Central de Da Nang, Viêtnam. L’infirmière du mouroir refusa catégoriquement de me servir un verre d’eau. Elle ne souhaitait pas gâcher cette précieuse ressource pour une patiente qui ne passerait pas la nuit. 32 heures plus tard, j’entrai en soins intensifs à Bangkok. L’équipe se dévoua corps et âme pour me maintenir en vie. Après 42 jours, mon chirurgien m’avoua avec pudeur le pronostic vital posé à mon arrivée : pas plus de 2 semaines à (sur)vivre. Dans le jet médicalisé qui me rapatria en France, les médecins étaient en alerte : détresse respiratoire à mi-parcours, escale forcée aux urgences de Dubaï. Il était trop tôt pour voler si loin, mais les assurances ne suivaient plus, il fallait passer le relai à la Sécurité Sociale. Une fois entre les mains des militaires de l’HIA Percy, je n’étais toujours pas sortie d’affaire. Les BHR* ramenées de mon séjour au mouroir pouvaient potentiellement m’emporter.
Après de multiples bains de javel et opérations de parage pour retirer les tissus nécrosés ou infectés, ils recouvrèrent la plaie béante de l’abdomen à la cuisse droite. La greffe de peau résista aux bactéries qui tentaient pourtant avec ardeur de la rejeter. Après 97 jours d’immobilisation, j’entrai en centre de rééducation. Personne ne se prononça réellement quant à mes capacités de récupération motrice. 103 jours plus tard, pourtant, j’étais de retour au Viêtnam. Claudicante et exténuée, mais vivante et sur pieds.
J’écris ce témoignage plus de 3 ans après ce jour fatidique depuis ma 12ème chambre d’hôpital. Jusqu’ici, j’ai subi 51 anesthésies générales en 226 jours d’hospitalisations. Depuis l’accident, mon retour au Viêtnam était l’objectif ultime qui me poussait à me battre, mais le verdict du chirurgien tomba : les soins devaient reprendre, et ce, pour une durée indéterminée. Je dus mettre en suspens cette vie désirée dans mon pays de cœur pour me recréer une vie contrariée dans mon pays natal. En somme, le chauffeur du poids lourd qui me broya les os et déchira mes chairs n’avait pas uniquement mutilé mon corps, il avait bel et bien brisé ma vie.
Je ne lui en ai pourtant jamais voulu. Si nous parlions la même langue, je lui dirais que depuis notre rencontre, je m’efforce chaque jour de faire mentir de bon cœur les soignants dubitatifs qui ont participé, et participent encore à ma reconstruction. Que la semaine dernière, mes jambes ont réussi à courir 9km en 1 heure. Que la veille nous avons dîné en famille et écouté les déboires de jeunesse de nos grands-parents. Que le lendemain, j’ai travaillé avec mes associés sur des projets passionnants. Et que le soir, j’ai ri aux éclats avec des ami•e•s avant de m’endormir dans les bras de l’homme qui m’apprécie telle que je suis. Je lui dirais que je ne me contente pas de survivre, mais que je vis intensément chaque instant qui m’est offert.
On dit que de telles épreuves ne laissent pas indifférent•e et j’en suis désormais convaincue. Les plans sont faits pour être changés, les limites pour être dépassées, et la vie pour être pleinement vécue.
* Bactéries Hautement Résistantes aux antibiotiques
Teddy MAJOR
Commandant de la Brigade Motorisée de Tours, Gendarmerie nationaleTeddy MAJOR
Commandant de la Brigade Motorisée de Tours, Gendarmerie nationaleIntervenir sur un accident mortel de la route est une épreuve. Lorsqu’on est gendarme, on développe naturellement de l’empathie pour les victimes : défendre ceux qui ne le peuvent pas est l’objet de notre engagement. Et notre métier nous amène hélas à faire face à des situations dramatiques. Les années nous apprennent à les affronter avec plus d’assurance. Pourtant, chaque gendarme reste marqué lorsqu’il est engagé sur un accident où un enfant décède. Car plus que le gendarme, c’est l’homme qui est touché. Sur les lieux, on se focalise sur l’évènement, les gestes techniques, les procédures. Parce que c’est notre mission mais aussi pour ne pas plonger dans le drame dont on est témoin, pour mettre une distance nécessaire avec l’horreur qui est sous nos yeux.
Et puis, il y a ce moment tant redouté où l’on doit annoncer aux parents, le décès de leur enfant. Rien ne nous y prépare. On ne sait jamais comment faire, quels mots dire. On sait juste que cela sera une déchirure. Il n’est pas logique de survivre à ses enfants. Tout gendarme sait qu’il va, à ce moment précis, bouleverser l’ordre naturel d’une famille, la détruire. Il n’est que le messager, mais se sent coupable.
Les conducteurs minorent souvent l’importance de leurs actes. Utiliser un téléphone, passer à un feu rouge, ne pas s’attacher pour un court trajet… L’accident, c’est pour les autres. Jusqu’au jour où l’on se présente devant une porte pour annoncer l’irrémédiable. Jusqu’à l’instant où l’on doit dire à une mère ce qu’elle ne veut pas entendre, ce qu’elle ne peut pas entendre, ce qu’elle ne devrait pas entendre. Les jours d’après, on y pense souvent.
Le temps nous apprend à vivre avec. Mais oublier n’est pas possible. Parfois, un lieu, une date ou un évènement anodin me rappellent un accident, un enfant. Nous en parlons entre collègues car eux aussi, ils ont leurs anges. Ceux dont ils ne parlent que de manière fugace, cachant dans le silence des histoires qui les hantent. Sans qu’on le sache, notre métier nous change. Les évènements auxquels nous prenons part nous marquent, nous transforment. Face à l’effroyable, une part de chacun de nous est touchée profondément. Nous ramenons parfois chez nous un peu du malheur que nous côtoyons. L’horreur ne s’arrête pas à la porte du bureau. On devrait se forcer à tout oublier mais ce n’est pas possible. J’ai bien essayé mais je n’ai pas réussi. Un drame reste un drame.
Ces marques profondes ne doivent pourtant pas nous tétaniser car nous devrons être là et faire face, si un nouveau drame se produit. Au fil du temps, on réalise que l’empathie est devenue compassion. On souffre comme ce père, comme cette mère. On identifie ce petit corps à celui de notre enfant. L’uniforme dans ces moments-là ne protège pas. Il faut prendre conscience des fragilités de la vie, pour la défendre coûte que coûte. Se rappeler que sur un geste anodin au volant, en un instant, une vie peut disparaître.
Nous devons garder en mémoire ces enfants, pour en protéger d’autres. C’est aussi ça, être gendarme.
Emilie MARTY PETIT
Psychologue clinicienne dans un service de réanimationEmilie MARTY PETIT
Psychologue clinicienne dans un service de réanimationAVP*. Voilà les premiers mots qui résonnent pour annoncer l’arrivée du patient dans le service. L’équipe prend en charge l’enfant.
Je rencontre et accompagne les parents, la famille.
Côté victimes, c’est l’effroi, l’attente, la sidération, l’espoir, le désespoir, la colère, les pleurs, les cris, la culpabilité. Et les mêmes questions… Comment ? Pourquoi ? Et si… Tout cela à la fois.
Attendre les nouvelles, comme un verdict, s’accrocher à un regard, un mot, un geste. Le silence, et le bruit de la réanimation.
Côté équipe, chacun sait ce qu’il a à faire. Il y a du rythme, une cadence incessante ; l’équipe s’agite dans le calme. De l’extérieur, on pourrait croire à un ballet, il y a une certaine grâce à les voir travailler ensemble, dans le calme. Un mot, un regard, un geste, et l’autre sait.
Et puis… Le médecin rencontre la famille de la victime.
Les mots se mélangent, l’esprit s’embrume. On entend sans entendre, sans être sûr de bien comprendre.
La vie bascule, sa vie bascule. Des vies sont brisées.
*AVP : Accident de la Voie Publique
Mohamed MAZARI
Chef de service SSR & référent label culturel et santé à la Clinique FSEF de Neufmoutiers-en-Brie, Fondation Santé des Etudiants de FranceMohamed MAZARI
Chef de service SSR & référent label culturel et santé à la Clinique FSEF de Neufmoutiers-en-Brie, Fondation Santé des Etudiants de FranceAccompagner, c’est partager un parcours de vie, échanger, apprendre et recevoir de l’autre, accepter aussi que l’échec soit omniprésent dans ce parcours. Accompagner m’a permis de grandir et de prendre de la hauteur. Notion largement évoquée tout au long de ma formation de travailleur social, le feeling m’a aussi permis de créer plus facilement du lien social pour faire évoluer des relations qui apparaissent comme complexes et inapprivoisables.
La rencontre avec un public en situation de handicap et plus particulièrement avec des patients tétraplégiques et paraplégiques, m’a permis de comprendre comment ceux et celles, touchés de plein fouet par un accident de la vie et/ou de la voie publique, affrontent la vie et se munissent d’une résilience exceptionnelle. Des échanges pour aider, convaincre et soutenir dans ce long processus d’acceptation du handicap, de la vie dorénavant différente, du regard des autres, des nouvelles capacités d’adaptations à développer.
Lorsque j’ai rencontré pour la première fois de ma vie un jeune adulte tétraplégique qui avait eu un accident de la vie, suite à un salto mal réceptionné, le plus difficile a été de lui faire comprendre que la confiance mutuelle était nécessaire pour avancer dans son projet. Son projet ? Qu’est-ce que cela signifie pour celui qui en veut à la terre entière, qui doit faire avec dépendance, livrer son intimité quotidiennement, et accepter son « nouveau schéma corporel » ?
La force de l’accompagnement se trouve dans la synergie que développe une équipe pluridisciplinaire, avec l’environnement à ajuster au rythme du patient. Pointer du doigt l’horizon, convaincre qu’il existe d’autres issues et une ouverture possible vers une vie où la norme sociale est différente. Ne rien lâcher, transmettre sa conviction, son envie ainsi que sa détermination pour bousculer des zones de confort, qui n’en sont pas en réalité.
Les sorties et animations culturelles sont un levier. Apprendre, côtoyer le monde extérieur malgré le regard, se découvrir autrement à travers la danse et le théâtre, … Pour transmettre cette énergie, le feeling et la bienveillance sont incontournables car la rencontre avec l’autre est déterminante. J’ai vu des personnes en fauteuil roulant électrique s’initier à la danse, un patient tétraplégique incarner un personnage fictif derrière une caméra, des adultes suivre des cours de philosophie pour s’accrocher et retrouver confiance. Quel cheminement… Aborder sa vie non pas comme une fatalité mais comme un espoir ou comme une renaissance. Prenons exemple…
L’univers créé autour du patient, et à inventer en fonction de chaque histoire, est la clé d’un accompagnement réussi. L’un a besoin de l’autre pour avancer, mais soyez-en convaincus, l’autre a besoin de l’un. Mon métier m’élève et les expériences passées enrichissent mes accompagnements futurs. La synergie soignant/soigné est riche et apporte un regard nouveau sur le handicap, l’inclusion, la différence, … qui mériterait d’être davantage partagé.
Marion MÉRAT
ErgothérapeuteMarion MÉRAT
ErgothérapeuteEn tant qu’ergothérapeute et présidente de l’association ARA, Association d’Aide au retour à l’Autonomie, j’accompagne au quotidien des enfants, des femmes et des hommes, qui, suite à un accident de la route ou une agression, se retrouvent en situation de handicap.
L’accompagnement que j’apporte aux victimes, quelle que soit l’étape où elles se trouvent dans leur parcours de consolidation, commence toujours par une rencontre. Que cette rencontre se fasse dans une chambre d’hôpital, dans un centre de rééducation, à domicile, au travail…, ma première mission est d’instaurer une relation de confiance et d’être à leur écoute. L’ergothérapeute est une sorte de « coach » spécialiste du handicap, de la réadaptation, des aides techniques, des aménagements et du matériel.
Durant le temps de l’hospitalisation, je suis présente pour évaluer les besoins au niveau du matériel médical et préconiser ce qui est le plus adapté, en lien avec les équipes soignantes. Afin de favoriser le retour à la maison, je peux également faire une évaluation du domicile pour arrêter les aménagements du logement, nécessaires.
Au quotidien, j’aide les victimes dans leurs démarches administratives, que ce soit dans la constitution d’un dossier qui servira à leur future expertise, en collaboration avec les juristes spécialisés en droit du dommage corporel, ou dans le montage d’un dossier MDPH avec l’aide des travailleurs sociaux. Pour l’expertise, quand vient le moment de la consolidation ou à mi-parcours, je réalise des bilans situationnels, afin de mettre en évidence les conséquences des séquelles de l’accident, dans la vie quotidienne.
Si un retour vers l’emploi est envisageable, une évaluation des capacités fonctionnelles en lien avec les référents de parcours permettra de définir des pistes métier ou une étude ergonomique du poste de travail du salarié concerné en situation de handicap.
Quand la victime veut reprendre la conduite et qu’elle est paraplégique ou amputée, je l’accompagne dans la régularisation de son permis de conduire au niveau de la préfecture, et dans l’acquisition d’un véhicule aménagé. Elle a besoin d’acquérir un fauteuil roulant électrique ? Je réalise avec elle le dossier complet et l’oriente vers des orthoprothésistes compétents. Si la victime est un enfant et que le retour vers la scolarisation est prévu, un temps de rencontre avec l’équipe pédagogique sera proposé et des conseils seront donnés pour favoriser l’inclusion.
Voir au-delà du handicap, de l’image de « victime » et ne jamais s’arrêter aux problèmes, aux obstacles… pour trouver des solutions. Croire dans les ressources internes de la personne que l’on accompagne et l’aider à atteindre ses objectifs, voilà la mission que je me donne chaque jour.
Anonyme
Victime d’un accident de la routeAnonyme
Victime d’un accident de la routeLola MIKOLAJCZAK
Victime d’un accident de la routeLola MIKOLAJCZAK
Victime d’un accident de la routeC’était un samedi soir comme les autres, c’était le week-end, j’étais avec mes copines juste avant le néant total.
Mes derniers souvenirs, avant que ma vie change, sont ceux d’une jeune fille de 18 ans, vivant pleinement sa vie.
Et tout d’un coup, un hélicoptère me transporte loin de toutes les personnes que j’aime. Mon quotidien se transforme alors en chambre d’hôpital, en peur, en appréhension, en solitude et surtout en de nombreux remords.
Il arrive parfois de prendre des mauvaises décisions, celle d’être la passagère d’une conductrice alcoolisée sera celle que je regretterai toute ma vie. Nous ne sommes jamais préparés à ce que notre vie devienne un cauchemar, à ce que notre douleur prenne le dessus sur notre sourire. Dans cette dure épreuve, ma force a été de m’accrocher un peu plus tous les jours au fait d’être en vie. Mon meilleur ami est devenu mon corset, qui me permet de me lever et de pouvoir marcher.
Lorsque nous passons si près de la mort, il est essentiel de réaliser à quel point la vie est précieuse.
C’est à ce moment-là que j’ai décidé de transformer mes douleurs en leçons de vie pour ne plus jamais reproduire les mêmes erreurs et pour sortir de cette étape si douloureuse de ma vie, plus forte qu’avant.
Une des choses les plus importantes dans le parcours d’une victime, c’est d’être entourée par les bonnes personnes tout au long de sa reconstruction. Le soutien de toutes les personnes qui m’entourent, famille, proches, soignants, m’a permis de voir la lumière au bout du tunnel.
Aujourd’hui, je peux être fière du chemin que j’ai parcouru, alors oui, la route est encore longue mais je suis persuadée que les plus belles choses sont à venir.
Philippe MIKOLAJCZAK
Père d’une victime de la routePhilippe MIKOLAJCZAK
Père d’une victime de la routeNous sommes le 14 mars 2021, il est 5 heures du matin, je suis dans mon lit et tout à coup mon corps est envahi de bouffées de chaleur. Impossible de comprendre ce qu’il m’arrive, suis-je malade ? Une heure plus tard, mon téléphone sonne.
« Bonjour Monsieur, c’est l’hôpital, votre fille vient d’avoir un accident de voiture, il vous faut venir, c’est très grave ». Le pire cauchemar pour un parent est de voir son enfant quitter la maison et recevoir un appel des secours quelques heures plus tard avec très peu d’informations sur son état de santé.
Le ciel me tombe sur la tête. Durant le trajet jusqu’à l’hôpital, le pire me passe par la tête, vais-je revoir ma fille vivante ?
À mon arrivée aux urgences, on me parle de multiples fractures des cervicales, de détachement osseux, de traumatisme crânien, et enfin le pire, de moelle épinière. Tout ce dont un père ne souhaite pour rien au monde, à sa fille.
A ce moment-là, je ne peux pas m’empêcher de penser au pire, la peur envahit mon esprit.
Au bout de quelques heures, le verdict tombe, il faut héliporter ma fille vers un hôpital apte à la prendre en charge. Je l’accompagne alors jusqu’à l’hélicoptère pour la voir partir dans les airs vers Toulouse. Les conditions sanitaires m’empêchent d’être près d’elle dans ce douloureux moment de sa vie. En attendant de pouvoir la voir, son neurochirurgien me tenait informé de son état de santé. Puis j’ai pu lui rendre visite et après de nombreux jours, elle est rentrée à la maison. On a enfin pu être auprès d’elle et la soutenir dans toute sa reconstruction. Aucune famille n’est préparée à ce drame, il est très important d’être bien entourés dans cette épreuve.
Désormais, à chaque étape de sa rééducation, je suis extrêmement fier du chemin parcouru par ma fille.
Olivia MONS
Porte-parole de la fédération France VictimesOlivia MONS
Porte-parole de la fédération France VictimesBien sûr il y a l’alcool ou d’autres substances, bien sûr il y a la vitesse, bien sûr il y a le téléphone, il y a aussi le défaut d’attention, le malaise, la perte de facultés… dans tous les cas où un accident de la circulation se produit avec des dommages aux personnes, ça peut être grave, jusqu’à l’indicible quand l’accident prend la vie d’un homme, d’une femme, d’un enfant et laisse l’entourage en deuil, avec de la colère, de la résignation, de la volonté de se battre… et immanquablement des questions.
Quand l’accident ne prend pas la vie d’une personne, elle peut rester handicapée physiquement et/ou mentalement, elle peut avoir des séquelles physiques ou psychiques à plus ou moins long terme. Cela compte pour la victime elle-même et pour ses proches. Les attentes et les besoins peuvent être nombreux.
Je sais qu’immanquablement, les personnes directement ou indirectement touchées ont des questions sur l’accident, les circonstances, l’intentionnalité… auxquelles la procédure judiciaire ne répond pas toujours/souvent.
Alors, parmi les droits qu’ont les justiciables dans la loi depuis 2014, il y a celui de se voir proposer de la justice restaurative, entre auteur(s) et victime(s) du même fait (on se connaît) ou de faits similaires (on ne se connaît pas).
La justice restaurative s’intéresse aux répercussions des faits sur les personnes et offre, après une préparation longue et encadrée par un professionnel spécifiquement formé, un espace de dialogue sécurisé afin de pouvoir exprimer des ressentis et des émotions, poser et répondre à des questions, et se reconstruire. Cela peut se passer à n’importe quel moment de la procédure, la liberté d’entrer et de sortir du dispositif est totale, et cela ne rapporte rien aux personnes dans le cadre de la procédure : ni indemnisation supplémentaire ni éventuelle réduction ou aménagement de peine.
La fédération France Victimes promeut la justice restaurative, mais son cœur de métier, avec les 130 associations adhérentes, est d’accompagner les victimes. En 2020, partout sur le territoire, ce sont plus de 9 000 personnes victimes concernées par un homicide ou des blessures involontaires qui ont été aidées par une association France Victimes.
À chaque fois, ce sont des vies bouleversées. Une écoute, des informations sur les droits, comment les faire valoir, du soutien psychologique et de l’accompagnement social sont prodigués gratuitement par des professionnels de l’aide aux victimes, le temps nécessaire.
Christelle MONTABORD
Assistante de service social, chirurgie orthopédique et traumatologique, Hôpital Pitié-SalpêtrièreChristelle MONTABORD
Assistante de service social, chirurgie orthopédique et traumatologique, Hôpital Pitié-SalpêtrièreLa vie ne tient qu’à un fil ! Nous choisissons parfois nos professions et nos domaines d’exercice en fonction de notre vécu et des combats que nous voulons mener.
J’ai choisi ma voie pour accompagner les familles et les personnes qui sont parfois sans voix face à un destin tragique.
J’ai perdu des cousins, des amis, des proches mais la peine est si forte quand cette personne n’a même pas l’âge de passer son BAC.
Ce vécu me permet d’être une professionnelle capable de faire face à des situations douloureuses. Le nombre 102 est important et doit alerter.
Que faire pour changer les choses ?
Sensibiliser les enfants dès l’école ? Oui, mais ce n’est pas suffisant quand on voit comment les automobilistes sont parfois inconscients et manquent de discernement.
Être toujours avec eux ? Les garder dans un cocon ?
Tant de questions que nous pouvons, nous parents, nous poser face à cette épreuve si douloureuse.
Pourquoi mon enfant ? Pourquoi ? Pourquoi ?
Tant de pourquoi que nous pouvons entendre de la part de ces parents, de ces familles qui tentent de faire face et d’être forts pour accompagner leur enfant victime de la route.
Comment puis-je les aider à surmonter cette épreuve sur le long terme ?
Pour moi cette question est une mission de vie.
Leur combat ne s’arrête pas à la sortie d’hospitalisation, il dure des années pour certains.
Il est important pour moi de bien accompagner les familles durant le séjour de l’enfant à l’hôpital et de leur donner des pistes, des conseils, des contacts pour poursuivre leur lutte. Ce combat face aux assurances, à la justice mais aussi le combat de leur enfant pour retrouver une vie stable.
Luc MOULIÉ
Commandant, Escadron départemental de sécurité routière de la VendéeLuc MOULIÉ
Commandant, Escadron départemental de sécurité routière de la VendéeGendarme technicien de la Sécurité Routière, j’oriente le travail de mes équipes pour lutter contre l’insécurité routière aussi bien sur le volet préventif que répressif sur l’ensemble du département de la Vendée.
Ma mission consiste également à intervenir pour procéder aux constatations de tous les accidents de la route.
Période estivale en Vendée, deuxième département en terme d’hôtellerie de plein air, les familles affluent. Les journées sont plaisantes : plages, activités sportives ; que de bons moments parents/enfants. Mais ce jeudi, la météo n’est pas au beau fixe. Pourquoi pas un cinéma ? Encore un bon moment en perspective !
18h30 : le centre opérationnel Gendarmerie est alerté d’un accident voiture-piéton… La victime âgée de 5 ans est en arrêt cardiaque…
Sur place, un périmètre de sécurité fige la scène. L’hélicoptère du SAMU est posé. Des soins de réanimation sont prodigués mais trop tard.
Nous apprenons rapidement son identité : il s’agit de la plus jeune fille de la conductrice impliquée.
La mère se trouvant dans un état de choc trop important ne peut s’exprimer. Le père parvient à nous expliquer les circonstances.
Il s’agit d’une famille venue passer ses vacances au camping. Ils reviennent d’une séance de cinéma. En chemin, la plus jeune a envie d’uriner. La mère s’arrête alors sur le bas côté. Le père ouvre sa porte pour cacher sa fille. Sans que les parents s’en aperçoivent, la fillette et une de ses sœurs ouvrent la portière, descendent par la gauche et passent derrière le véhicule.
Dans le même temps, la maman manœuvre.
La portière vient de percuter l’enfant à la tête.
La famille est dévastée : la situation laisse une scène macabre en suspens : la mère est inconsolable, le père essaie de préserver les deux autres enfants présents. La douleur est partout.
A nous de trouver les mots et d’essayer de rendre cette épreuve la moins douloureuse pour la famille.
Moi-même papa, je transpose cette situation à un accident dans lequel j’aurais pu être impliqué. Les yeux des militaires sont rouges, les esprits troublés. Mais, nous répondons avec professionnalisme aux exigences de la procédure judiciaire (constatations…), sans oublier, dès ces premiers instants, d’être une écoute attentive des victimes de ce drame.
Cette épreuve, nous le savons, marquera nos esprits : le temps passe, les images restent…
La voiture est un merveilleux outil de loisirs.
Mais n’oubliez jamais qu’elle nécessite une attention de tous les instants.
Elise MULUMBA
Assistante de service social, consultations neurologiques, GHU Paris Psychiatrie & NeurosciencesElise MULUMBA
Assistante de service social, consultations neurologiques, GHU Paris Psychiatrie & NeurosciencesLa Route, peut être longue, courte, belle, embouteillée, enneigée ou bien ensoleillée. Malheureusement la Route est encore trop souvent sanglante, dangereuse, violente et meurtrière. La sécurité routière est un sujet qui concerne tout le monde, petits et grands.
Apprenons à nos petits enfants à traverser lorsque le bonhomme est vert, en marchant sur le passage piéton. Quant aux plus grands, efforçons-nous d’être responsables sur la route.
C’est dramatique qu’il y ait encore autant de victimes sur la route alors que la majorité de ces accidents pourrait être évitée en appliquant simplement le respect des règles, du civisme, du partage et de la bienveillance.
Chaque jour des lanternes s’éteignent à tout jamais. Leurs lumières, leurs flammes, leurs chaleurs s’évanouissent ainsi sur le bord d’une route. Le départ de ces enfants, de ces accidentés, laisse place à un grand vide, une absence impossible à combler. Une profonde et violente brisure s’installe dans la vie des proches rescapés. Mères, pères, frères, sœurs, tantes, cousins, grands-parents, amis, collègues…, tous sont à jamais marqués par ce drame. Tous sont victimes d’une certaine façon.
Malgré l’injustice et les atrocités de l’insécurité routière, la force de la destinée permet à certaines victimes de rester en vie. Commence alors un long combat vers une vie qu’elles n’ont pas choisie. Des vies assiégées par un service de réanimation, un Centre de rééducation, la douleur, le handicap, les expertises médicales, les assurances, des démarches juridiques, la dépression, la violence institutionnelle. Pourtant il faut trouver la force de continuer le chemin et de se reconstruire au mieux.
Je travaille en tant qu’assistante sociale depuis cinq ans et je rencontre régulièrement des accidentés de la route et leurs proches. Chacune de ces rencontres est marquée par des sentiments de douleur, d’injustice et d’impuissance. L’impuissance de ne pas pouvoir faire machine arrière afin d’éviter l’accident. Je m’efforce d’accompagner et de soutenir les patients et leurs familles. Nous travaillons ensemble à l’élaboration d’un projet de vie. Je m’assure que tous leurs droits sont ouverts et qu’ils bénéficient d’un soutien psychologique et financier si nécessaire. L’un des principaux enjeux est de les mettre en lien avec les « bons professionnels et partenaires », au bon moment.
Personnellement, je suis effrayée à l’idée de conduire une voiture. Je n’ai pas réussi à poursuivre mes heures de conduite. Quotidiennement j’observe sur les routes des absences de clignotants, des feux éteints, des refus de priorité, des excès de vitesse, le non-respect de la signalisation. Ce constat anime en moi une grande peur. Peur de blesser, de tuer ou de mourir.
Il est de la responsabilité de chacun d’entre nous, en tant qu’individu et collectif, de rendre les routes plus sûres.
Magali MUSSO
Assistante de service social, CHUMagali MUSSO
Assistante de service social, CHUEn tant qu’assistante sociale hospitalière, j’interviens auprès d’un service accueillant parfois des patients accidentés de la route.
Ce fût le cas pour l’un de nos patients, âgé de 19 ans à l’époque, qui est resté hospitalisé plusieurs mois au sein de notre établissement.
C’était un jeune lycéen qui avait subi un accident de deux roues. Percuté par un véhicule, il a eu un traumatisme crânien grave et des séquelles importantes autant sur le plan neurologique que moteur.
Lors de notre premier entretien, la famille était bouleversée par la situation médicale de leur fils et frère. Un sentiment de colère contre la partie adverse et les autorités rencontrées sur place était palpable. Ils étaient en demande de conseils juridiques sur les démarches à engager afin de savoir ce qu’il s’était réellement passé lors de cet accident. J’ai pu les orienter vers une association mettant à disposition gratuitement des avocats et juristes, afin de faire valoir les droits de la victime auprès des organismes compétents.
A la suite de cet accident, le patient n’était plus capable de réaliser un quelconque acte de la vie quotidienne, ni de prendre ses propres décisions. J’ai donc accompagné la famille dans la constitution d’un dossier MDPH.
Plus le temps passait, plus les parents pouvaient constater la perte d’autonomie de leur fils, et la situation familiale s’est dégradée.
Il y avait déjà des difficultés intrafamiliales avant l’hospitalisation, et tout a éclaté, donnant lieu à une procédure de divorce.
La mère du patient a finalement quitté le foyer familial pour un logement indépendant et a accueilli son fils chez elle.
Cette situation m’a marquée car cet accident a eu un impact fort sur la vie et l’avenir de ce jeune patient bien sûr, mais également sur la vie de toute la famille…
Séraphine NZEYIMANA
Assistante de service social en neurochirurgieSéraphine NZEYIMANA
Assistante de service social en neurochirurgieJe les accompagne ces victimes,
avec ou sans entourage.
Victimes souvent de l’inconscience
de ceux qui abusent de l’alcool,
de la drogue, sans oublier la vitesse.
Des fois ils ont oublié leur passé, tellement le choc
a été violent physiquement et émotionnellement,
mais ils s’accrochent toujours à la vie.
Je les accompagne ces victimes « responsables »,
rongées par le regret, la culpabilité et la honte.
Je les accompagne ces familles, ces amis,
ces collègues qui ne savent pas quoi dire,
quoi faire, mais qui ont de l’espoir.
Je les accompagne tous, car dans tous les cas de figure, la situation est dramatique…
Leo ORTA
Artiste plasticienLeo ORTA
Artiste plasticienJe n’oublierai jamais cette nuit de juillet 98… Pour ceux qui l’ont vécue elle est la nuit de cette folle victoire de l’équipe de France face au Brésil lors de la finale de la Coupe du monde de football.
Pour ceux qui l’ont vécue, elle est la nuit des cris de joie, des pétards, de l’émerveillement, de la liesse collective : un moment de fraternité unique qui marque encore les mémoires.
J’ai cinq ans… En portant les couleurs bleu, blanc, rouge,
je cours dans les rues en chantant.
Insouciant et heureux, je participe à cette fête incroyable.
Soudain une voiture percute un petit garçon qui traverse la route,
frêle pantin qui s’envole et retombe lourdement sur l’asphalte…
Le chauffard prend la fuite. Des cris insoutenables, ceux d’une mère
qui hurle le prénom de son enfant, retentissent trop tard…
Sous le choc, je reste immobile.
La joie a laissé place à la sidération, mon sang se glace, je ne sais pas
quoi faire : j’ai cinq ans. Les jambes chancelantes, je cours dans un bar
pour prévenir un adulte, je suis en larmes, terrorisé.
Pour moi, la magie a disparu. De cette nuit de 98 restera gravée à jamais
l’image de ce petit corps inerte étendu sur le sol. Il avait à peu près mon âge,
il aurait pu être un copain d’école, un camarade de jeu…
Je suis le témoin impuissant de cette scène qui me hante encore aujourd’hui.
Il n’y a plus de victoire, plus de rires, plus de chants : un enfant est parti.
Nadège ORTHET
Assistante de service social, réanimation neurochirurgicale, Groupe hospitalier universitaire AP-HPNadège ORTHET
Assistante de service social, réanimation neurochirurgicale, Groupe hospitalier universitaire AP-HPJe suis assistante sociale dans un service de réanimation neurochirurgicale, à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, où nous recevons régulièrement des personnes victimes d’accidents de la voie publique.
Quand j’accueille des familles dans le service de réanimation, l’image qui me vient d’emblée est celle du « coup de tonnerre dans un ciel serein » qui représente bien, à mon sens, toute la brutalité de l’annonce de l’accident et de l’hospitalisation en réanimation d’un être cher. Telle une véritable onde de choc.
A ce séisme, s’ajoutent bien souvent l’angoisse et l’incertitude concernant le pronostic vital qui peut être engagé pour une durée parfois indéterminée…
Face à ce cataclysme, les familles développent, chacune à leur manière, des moyens pour résister à l’angoisse de perdre l’être aimé. Je suis admirative de voir la pulsion de vie et les ressources que les parents, frères, sœurs, et proches, puisent au plus profond d’eux-mêmes pour apporter de l’espoir, de l’amour, de la vie, de la gaieté au chevet du patient, pour établir un contact, malgré le contexte hospitalier et les nombreuses machines impressionnantes qui entourent le patient.
Pour l’une, ce peut être de raconter des souvenirs à l’oreille, pour l’autre, fredonner une chanson, écouter un air de musique, pratiquer un petit massage, ou bien tapisser les murs de photos.
Dans ma mission première d’accueil et d’information des familles, j’attache une grande importance à pouvoir offrir, autant que faire se peut, un accueil personnalisé, une écoute attentive, une disponibilité et une bienveillance face à ce contexte si éprouvant. Il s’agit aussi pour moi d’être en mesure de donner des informations, administratives et sociales, pouvant parfois contribuer à une certaine réassurance. Je reste également à leurs côtés si un accompagnement social, une orientation, sont nécessaires, au fil des nombreux questionnements qui émergent durant le parcours de soins de leur proche.
Valérie PÉCRESSE
Présidente de la Région Ile-de-FranceValérie PÉCRESSE
Présidente de la Région Ile-de-FranceLes accidents de la route ne sont pas une fatalité. Nous devons collectivement poursuivre les efforts engagés depuis une décennie. Mais si les chiffres sont en recul, ils masquent des réalités différentes.
Ainsi, les jeunes de 18-24 ans sont malheureusement encore les plus exposés au risque d’accident mortel sur les routes.
Nous ne pouvons nous résoudre à ce terrible constat.
Avant toute chose, je veux apporter tout mon soutien, toute ma compassion, aux familles endeuillées par la perte d’un être cher. En tant que mère, je suis touchée par leurs drames, ils viennent détruire en une fraction de seconde les projets de toute une vie. Chaque mort sur les routes de France est un mort de trop.
En tant que Présidente de région, j’ai souhaité que notre collectivité puisse venir en aide et en soutien aux victimes d’infractions pénales et notamment à celles des infractions routières. Il est pour moi primordial que les victimes puissent être accompagnées dans leurs démarches. A la douleur immense de la perte d’un être cher ne doivent pas s’ajouter les lourdeurs administratives, les lenteurs des procédures qui sont une double peine pour les familles.
Ainsi, notre Région apporte un soutien juridique, financier et psychologique aux victimes d’accidents de la route et à leurs proches.
Parce que la prévention est cruciale, notamment auprès de nos jeunes, nous agissons au sein de nos lycées pour soutenir les actions d’éducation et de prévention sur les risques routiers et les comportements addictifs. Je tiens à saluer les associations pour leur engagement et leur mobilisation quotidienne auprès de nos jeunes lycéens.
Nous soutenons également les Maires par des financements régionaux pour sécuriser les abords des écoles et des équipements publics, afin de rendre la ville plus sûre.
Je veux aussi témoigner ma reconnaissance aux forces de secours et de sécurité ainsi qu’aux soignants qui sont en première ligne, au plus près des victimes. Combien de vies sauvées grâce au dévouement de ces héros du quotidien. Pour eux aussi, chaque accident de la route, chaque vie ôtée est une terrible épreuve. Pour les aider au quotidien, afin d’arriver plus vite auprès des victimes de la route, en étant mieux équipés pour soutenir, protéger et soigner, j’ai souhaité que la Région investisse. J’ai tenu à moderniser leurs conditions de travail en finançant notamment l’achat de nouveaux véhicules. Fidèle à l’héritage du Président Jacques Chirac, je souhaite poursuivre cette mobilisation pour la sécurité routière. Nul responsable politique ne saurait se désintéresser d’un tel défi. Nous ne devons pas relâcher nos efforts.
Il faut continuer de faire baisser le nombre de morts sur nos routes par une politique coordonnée et ambitieuse de sécurité routière.
Vous pouvez compter sur mon engagement pour davantage de sécurité sur nos routes. C’est un combat pour la vie.
Chantal Florencia PEYFORT
Fille d’une victime décédée suite à un accident de la routeChantal Florencia PEYFORT
Fille d’une victime décédée suite à un accident de la routeJ’avais 9 ans lorsque c’est arrivé. Nous attendions, ma sœur et moi, qu’il vienne nous récupérer à la sortie de l’école, comme chaque vendredi soir, nous étions impatientes de passer le week-end avec lui. Notre maman déjà malade, il était notre oxygène et notre joie de vivre…
Ce soir là, nous ne savions pas encore que nous ne le reverrions plus jamais… Il a glissé dans un virage, malaise au volant, puis sa voiture a plongé dans le précipice, nous abandonnant ainsi à notre peine et à un bouleversement qui nous marquera hélas à tout jamais. Nous privant ainsi de notre joie de vivre, et de notre enfance douce et insouciante de petites filles. Nous plongeant dans une tristesse et une insécurité que nous n’étions pas préparées à vivre… et que nous avons subies.
Immonde tragédie, injustice ressentie, bonheur anéanti. S’en sont suivies des années de famille d’accueil, de foyers et de colère, d’incompréhension, avant la phase de reconstruction.
Nous aurions du fêter tes 70 ans cette année et nous nous demandons souvent ce qu’aurait été la vie à tes cotés.. Quelle enfance nous aurions eue, quelles femmes serions-nous devenues, et toi que serais-tu devenu ?
Nous pensons souvent à toi, en nous remémorant les bons moments, avec beaucoup d’amour… Aujourd’hui nous avons accepté. Tes petits enfants auraient été heureux de te connaître, nous leur parlons souvent de toi, et nous espérons très fort tous te revoir, et que tout va bien pour toi papa.
Prenez bien soin de vos proches, rappelez-leur combien les règles de sécurité, les limitations de vitesse sont importantes, et surtout dîtes-leur toujours au revoir. Ne partez pas fâchés, témoignez votre amour car cela n’arrive pas qu’aux autres, les accidents peuvent hélas trop vite arriver…
Philippe
Commandant de la CRS Autoroutière (CALA)Philippe
Commandant de la CRS Autoroutière (CALA)La mission première d’une CRS Autoroutière reste « l’aide et l’assistance aux usagers » en vue de limiter et réduire le nombre des victimes d’accidents de la circulation sur ses secteurs. La taille du réseau incombant à la CRS Autoroutière Lorraine-Alsace approche les 350 kilomètres de linéaire. Son volume de flux est évalué annuellement à 109 millions de véhicules et 270 millions d’usagers.
1 décès en 1 an ! Pour la première fois de son histoire, et pour la période calendaire échelonnée du 29 août 2020 au 06 octobre 2021, la CALA n’a eu à déplorer qu’un seul accident mortel (suite à un malaise) et 143 blessés, sur ses différents réseaux de compétences. Cette réussite est la conjonction de l’engagement au quotidien d’acteurs multiples, et de moyens innovants, se voulant à la fois généralistes et/ou ciblés.
Ce résultat est avant tout collectif. Il est la conséquence d’une parfaite entente et complémentarité d’action entre la structure CRS, et les différents acteurs intervenants que sont : la Direction Interdépartementale des Routes, les Préfectures, les Parquets, et l’ensemble des autres services de Police ou de Gendarmerie. Pour exemple, la Police Aux Frontières met à disposition ses moyens aériens dans le cadre de nos opérations de surveillance du trafic. Des contacts réguliers et des liens privilégiés existent avec les différents médias locaux et nationaux. Leurs reportages font entrer la CRS Autoroutière dans le quotidien des usagers, vecteur de communication favorisant un flux de circulation global apaisé.
Contrôler le flux est une nécessité impérieuse. L’Unité bénéficie de matériels et d’équipements spécifiques adaptés à nos missions d’aide, d’assistance, et de protection des usagers, ainsi que d’une flotte composée de véhicules d’intervention et de motos, sérigraphiés ou banalisés.
La portabilité informatique sur le terrain permet d’optimiser nos actions de contrôles, de recouper les informations, et d’engager les procédures en temps réel. Les moyens de Police Technique et Scientifique sont des outils précieux pour nos enquêteurs.
La mission autoroutière est une des plus dangereuse de la Police Nationale. Afin d’être efficients, les personnels qui évoluent systématiquement en milieu hostile doivent se sentir bien dans leur environnement professionnel.
Un commandement offrant écoute, soutien, moyens adaptés, s’appuyant sur le professionnalisme de ses personnels, et ne manquant ni de chance, ni d’humour, est indispensable.
Romain POIROT
Père d’un très jeune garçon décédé suite à un accident de la routeRomain POIROT
Père d’un très jeune garçon décédé suite à un accident de la routeIl est toujours délicat de présenter un témoignage, de relater un souvenir douloureux. Cependant il est nécessaire de le faire, pour soi-même, pour tenter de supporter la peine et la douleur de son absence, mais aussi pour toi, mon fils, parti si tôt alors que la vie te souriait.
Témoigner pour préserver cette flamme qui t’habitait et garder cette image à jamais gravée dans ma tête et dans mon cœur. Cette image qui me donne l’énergie d’avancer aujourd’hui, d’honorer ta mémoire en tentant de sauver… comme tu as pu le faire… la vie d’autres enfants.
Tu es et demeureras une source d’énergie inépuisable, un exemple qui me donnera toujours la force d’avancer dans la vie. Tu me manques tellement… mais quand je pense à toi et à nos moments, cela contribue à combler ma peine, un peu.
Je sais que tu es toujours à côté de moi, là… au présent… comme un ange.
Je le sais car je le sens.
Je t’aime !
Ton papa
Elodie RATELET
Victime d’un accident de la routeElodie RATELET
Victime d’un accident de la routeJ’ai 14 ans, c’est le dernier jour d’école, il fait une chaleur insupportable alors avec les copains on décide de faire l’école buissonnière et d’aller à notre plage habituelle de Rivedoux. Nous sommes une dizaine d’adolescents insouciants. L’après-midi passe et nous repartons tous ensemble en vélo retrouver nos familles.
Un passage piéton, des buissons, on se suit tous pour traverser la route, mes copains me précèdent, je suis derrière Karim, ma sœur jumelle Amélie est à 3 mètres derrière moi…
C’est mon tour de traverser, pourtant j’avais regardé à droite et à gauche mais je ne vois pas la moto qui arrive à vive allure.
Il me prend au niveau du dérailleur du vélo, je ne comprends pas ce qui m’arrive, je suis projetée dans les airs et retombe comme un sac de linge sale, mon bras amortit la chute, ma tête tape le bitume. Je me relève…
Je vérifie que j’ai toutes mes dents : c’est bon elles sont toutes là, mais je crache toujours du sang… Je comprends vite que je me suis coupée un bout de langue. Mon corps lâche, je ne peux plus me retenir… Je suis à terre. J’entends ma sœur hurler, je suis en pleurs mais je la rassure. Tout le monde est autour de moi.
Des adultes de l’autre côté de la rue arrivent en courant avec une couverture et me mettent en PLS, en demandant à tout le monde de reculer. On me pose beaucoup de questions pour que je ne m’endorme pas car j’ai envie de fermer les yeux. Je les entends appeler les secours et mes parents.
Puis la sirène retentit, les secours arrivent. J’aperçois un trou dans ma cuisse, je peux y loger mon poing. Je panique, les larmes coulent. J’arrive aux urgences, une femme médecin me rassure, me prend en charge : elle me recoud le front. Pour la cuisse c’est un peu plus compliqué, c’est une boucherie. Je n’ai pas eu de séquelles à part une vilaine cicatrice à la cuisse, des marques sur les mains, une cicatrice au front et un traumatisme crânien.
Suite à cet accident, j’ai été traumatisée par le bruit des motos pendant plus de 2 ans. Dès qu’elles passaient trop près de moi, à vive allure, je me mettais en boule et je ne bougeais plus, j’étais tétanisée. Les premières fois j’ai pleuré, puis ça s’est estompé.
Aujourd’hui j’ai 37 ans, je suis une maman sportive. Je fais un peu de vélo de course. Mes premières sorties se sont faites sur des pistes cyclables, j’évitais consciencieusement la route. Je peux à présent faire des sorties sur la route en restant très vigilante et tant pis si je ne fais pas de chrono : j’aime trop la vie.
Pascale RIBES
Présidente APF France handicapPascale RIBES
Présidente APF France handicapLe Projet [102] entend donner la parole à ceux que l’on n’écoute pas. Il donne un visage aux victimes invisibles. Il propose une approche originale, créative pour toucher le plus grand nombre et susciter une réaction, un sursaut, une prise de conscience autour d’un fait et d’un chiffre insupportable : le nombre d’enfants victimes de violences routières.
Cette démarche nous touche profondément. Elle possède de nombreux points communs avec celle que porte APF France handicap et notamment ce souhait de donner la parole aux personnes concernées.
C’est le fondement de notre démarche de plaidoyer.
Ce projet nous touche car, pour nous aussi, la défense des droits de l’enfant, est un combat essentiel. Un combat qu’en prenant la présidence d’APF France handicap j’ai souhaité placer au cœur de notre action. Le mépris de ces jeunes vies, la violence qui s’exerce sur elles, même involontairement, ne sont plus acceptables dans une société censée avoir progressé et disposer des moyens d’un vivre ensemble apaisé.
Ces violences routières ne sont pas toujours fatales mais leurs conséquences sont toujours dramatiques pour les enfants et leurs familles.
A APF France handicap, nous accompagnons des enfants en situation de handicap dont certains ont été victimes de la route. Nous sommes les témoins et les acteurs de leur vie d’après. Et nous mesurons chaque jour les défis qu’ils doivent relever au quotidien.
Notre constat est sans appel. Aujourd’hui, en France, les enfants en situation de handicap subissent un cumul de discriminations dès leur plus jeune âge dans l’accès à l’école, aux loisirs, à la santé, dans leur vie sociale et familiale. Ils ne peuvent pas exercer leurs droits comme les autres enfants. Ils sont bien trop nombreux à être mis à l’écart des autres, marginalisés, traités différemment au prétexte de leur « handicap ». Ils n’ont pas le choix et vivent de multiples contraintes.
Les principes de non-discrimination, de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la pleine participation de l’enfant aux décisions qui le concernent sont au cœur des enjeux de respect de la dignité de chaque enfant.
Il est donc plus que temps d’écouter ce que les enfants, et notamment les enfants en situation de handicap, ont à dire, de leur permettre de participer aux décisions qui les concernent et de faire sauter les obstacles qui les empêchent de bénéficier des mêmes droits que les autres, à égalité.
C’est ce droit, ce respect que nous entendons défendre et c’est la raison pour laquelle nous soutenons aujourd’hui le Projet [102]. Nous joignons notre voix à celles de toutes les familles qui témoignent, de tous les acteurs qui s’engagent chaque jour pour les soutenir, de tous les artistes engagés dans ce projet. Nous souhaitons diffuser, amplifier cette parole pour qu’en nombre nous exprimions notre indignation et notre espoir d’une société plus juste, apaisée et durable.
Cédric RIGOLLET
Animateur du groupe de travail chargé notamment de la sécurité routière, au sein de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de FranceCédric RIGOLLET
Animateur du groupe de travail chargé notamment de la sécurité routière, au sein de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de FranceNous aussi « Soldats de la Vie », pleurons parfois les nôtres à la suite de drames qui surviennent sur les routes. Nous luttons avec ardeur depuis de nombreuses années pour améliorer la prise en charge des victimes de la route, pour faire mieux, pour faire plus vite, pour sauver plus de vie encore. Nous œuvrons aussi pour protéger les sapeurs-pompiers, ces anges gardiens qui secourent les accidentés de la route, qui leur viennent en aide et le plus promptement possible les évacuent vers les hôpitaux, où ils seront sauvés.
Après avoir longtemps été surnommés « Soldats du Feu », les plus de 250 000 sapeurs-pompiers de France changent d’appellation. Comme leurs activités de secours changent de nature et parce que plus de 80 fois sur 100 leur activité est tournée aujourd’hui vers le secours et le soin d’urgence aux personnes, ils deviennent les « Soldats de la Vie ».
Mais la vie parfois est cruelle avec eux, elle rappelle régulièrement à ces soldats, sa fragilité. Elle remémore qu’elle peut s’évanouir en un instant, en une fraction de seconde, même pour ses serviteurs les plus engagés, ceux qui œuvrent toujours, continuellement, avec force et résolution pour la maintenir chez les autres.
Ces « Soldats de la Vie » payent aussi un lourd tribut à cause des accidents de la route. A de trop nombreuses reprises au cours de ces cinq dernières années, pour ne parler que de cette période, notre cœur a saigné, notre âme a pleuré, nos larmes ont coulé. Trop de noms sont égrainés en ce jour traditionnel qu’est désormais la journée nationale des sapeurs-pompiers. Ces noms sont suivis d’une funèbre conclusion, un cinglant « mort en service ». 15 sapeurs-pompiers, femmes et hommes de cœur, ont perdu la vie en tentant d’en sauver d’autres. Ils laissent derrière eux, des familles endeuillées, des enfants orphelins de mère ou de père, des proches esseulés et l’immense communauté des sapeurs-pompiers, meurtrie. En rejoignant leur centre de secours ou encore pour se rendre au chevet des victimes, ils payent parfois de leur personne, jusqu’au sacrifice ultime.
La sécurité dans nos rangs est la mère de tous nos engagements.
Ne l’oublions pas. Plaçons-la toujours au-dessus de tout. Sauvons les victimes d’accident, luttons pour la vie sur nos routes encore anormalement mortifères, en refusant de mettre la nôtre en danger. Acteurs du secours et du soin d’urgence, confrontés aux plus dures circonstances opérationnelles qui soient, préservons-nous.
Maddy SCHEURER
Colonelle, porte-parole de la Gendarmerie nationaleMaddy SCHEURER
Colonelle, porte-parole de la Gendarmerie nationaleQuel adolescent n’a pas rêvé d’un scooter lorsqu’il avait 14 ans ? Quel parent n’a pas été tiraillé entre l’envie de lui faire plaisir, lui donner un peu de liberté dans ses déplacements et la crainte de l’accident ? Les arguments s’opposent, s’entendent et se confrontent obligeant les parents à faire des compromis pour s’entendre sur le sujet.
En secteur gendarmerie – tantôt rural tantôt périurbain – la question se pose avec une certaine acuité. Le scooter permet d’être plus autonome, de gagner du temps de transport et donc de le réinvestir dans du sport, des révisions, du repos… Alors, malgré le risque, souvent, les parents cèdent au désir de mobilité de leurs enfants.
Il y a quelques années maintenant, alors en poste opérationnel, je suis intervenue sur un accident de la circulation routière dont je me souviendrai toujours. Ce jour-là, les gendarmes m’indiquent qu’ils sont engagés sur un accident, impliquant une voiture et un scooter, sur un axe du réseau secondaire très circulant.
J’arrive sur les lieux. Il règne un silence assourdissant. Le temps semble s’être arrêté. L’air est vicié par l’odeur du sang et de la gomme. Des débris jonchent le sol sur plusieurs dizaines de mètres. Le choc a été violent. Tout l’indique. Au milieu de la chaussée, les pompiers s’affairent sur un corps frêle, dont les fractures ouvertes font immédiatement comprendre la gravité de la situation : au rythme régulier et ininterrompu du massage cardiaque, ils tentent de réanimer un jeune garçon.
Ayant entendu les sirènes de véhicules d’urgence, un riverain domicilié à proximité, s’approche pour se renseigner. Il regarde et en quelques secondes, il comprend. Un grand cri de douleur retentit. Il s’élance brusquement sur la chaussée en direction des secours. Il est immédiatement freiné dans sa course par les gendarmes. Quelques mots suffisent alors à comprendre le drame qui est en train de se jouer : il est le père du jeune garçon qui gît au sol. Désemparé, dans un accès de colère, il se précipite alors sur l’automobiliste impliqué dans l’accident. A nouveau, les gendarmes le retiennent, évitant d’ajouter un malheur au drame. La tension est palpable ; la mort rôde. Soudain, il réalise avec effroi qu’il est désormais trop tard. Sa vie de père vient de basculer. Tout s’écroule autour de lui. Partagé entre l’effondrement, la fureur, l’incompréhension et la culpabilité, il réalise que c’est lui qui avait convaincu son épouse d’offrir le scooter à leur fils pour son anniversaire la veille…
Je suis gendarme, je suis mère. Je suis envahie de tristesse devant la violence de ce drame.
Aujourd’hui, les années ont passé, je suis porte-parole de la Gendarmerie. Je rédige ce texte, en mémoire de ce jeune garçon, qui avait la vie devant lui, de sa famille à jamais meurtrie et de toutes les autres victimes de la route mais également de mes camarades gendarmes, régulièrement témoins de ces accidents qui rythment trop souvent le quotidien et qui marquent les esprits autant que les cœurs.
Blandine SCHNEDECKER
Médecin légisteBlandine SCHNEDECKER
Médecin légisteSang d’eux
Sang 1. Elle a deux ans et une petite robe rouge.
Elle entend la camionnette rentrer dans la cour et elle se précipite.
L’utilitaire est en marche arrière.
Dans la lumière rouge des phares de recul, un petit elfe rapide et vif avance
en courant au milieu de la nuit.
Lors du choc la tête passe sous la roue, c’est tout petit un elfe.
La petite robe rouge se nappe de pourpre.
Sang d’elle.
Sang 2. Il a 3 ans et lui c’est un lutin.
La maison du lutin est en bordure d’une route nationale.
Le lutin s’ennuie avec les grands alors il part en exploration.
Il court entre les voitures et jaillit sur la route.
Les voitures roulent vite sur une nationale même en agglomération, même
quand c’est limité, même quand les panneaux disent
« Attention à nos enfants ».
Maintenant la vie c’est sans lui.
Salvatore SCIFO
Victime d’un accident de la route, sapeur-pompierSalvatore SCIFO
Victime d’un accident de la route, sapeur-pompierLe 29 novembre 2002, 20h20, intervention sur l’A7 pour un accident sans gravité. À l’arrivée, nous trouvons une voiture et son conducteur à l’extérieur, mais aucun blessé à déplorer. Je balise la zone par mesure de sécurité. L’intervention se déroule bien, la personne impliquée signe une décharge qui l’exempte de se rendre à l’hôpital, nous commençons donc à replier bagage.
La parcelle d’autoroute sur laquelle nous intervenions était en travaux et d’autant plus perturbée par l’accident. Alors que les voitures roulaient à grande vitesse, un patrouilleur et un sapeur-pompier de l’unité d’instruction de Brignoles nous aidaient à faire la circulation. Pendant que nous rangions le matériel, installés en ligne sur trois niveaux, un mauvais pressentiment ne me quitte pas. Quelques instants plus tard, une voiture nous percute.
Je me retrouve bloqué entre les patrouilleurs et le véhicule. Un poids-lourd se mettra en travers de la voie pour nous protéger. À l’instant du choc, 3 de mes collègues, Laurent, Didier et Éric, sont projetés par-dessus la bretelle d’autoroute. Les 2 premiers tombent dans la Drôme, le dernier au sol, sur la rive. Xavier, lui, a le temps de sauter dans la rivière et d’en remonter. Nos autres coéquipiers sont restés sur la route.
Sur les 8 sapeurs-pompiers de notre équipage, 5 sont décédés, 2 ont été légèrement blessés et j’ai de mon côté été gravement blessé. C’était une scène de guerre. Ce n’est qu’après avoir reçu mes soins à l’hôpital que j’ai appris le décès de mes 5 collègues et amis. Le corps de Laurent ne sera découvert que 11 ans plus tard. Nous ne sommes que trois rescapés de l’accident de Loriol : Xavier, Anthony et moi. J’ai été hospitalisé 49 jours, subi 4 opérations, suivi 18 mois de rééducation et ai vu un psychiatre pendant 3 ans. J’ai repris mes fonctions de sapeur-pompier dès qu’il me l’a été permis.
Le conducteur du véhicule qui nous a percuté a donné 30 appels d’urgence entre la survenue de l’accident et l’arrivée des secours. C’était déjà trop tard. Cet homme de 82 ans à l’époque, a été jugé et a fait appel. Condamné à 2 ans de prison ferme et 3 ans avec sursis, il passera un an dans une prison-hôpital et un an en libération surveillée avec le port d’un bracelet électronique. Il décèdera quelques années plus tard.
Nous ne saurons jamais pourquoi ni comment cet accident est arrivé. Je sais, en revanche, que la plupart des accidents puisent leur origine dans la bêtise humaine : manque de repos, précipitation, inattention… Il est indispensable de prendre le temps, réfléchir, considérer la mesure de nos actes mais peut-être qu’une pédagogie plus active serait utile. Au-delà des messages passifs lus puis aussitôt oubliés par les usagers, ne faudrait-il pas choquer les conducteurs en leur montrant la réalité du quotidien des victimes (hôpital, rééducation, vie ou survie d’après) ou encore supprimer le permis à vie et instaurer des tests d’aptitude réguliers ?
Salvatore SCIFO, auteur du livre Rescapé
Laëtitia SÉDRATI
Victime d’un accident de la routeLaëtitia SÉDRATI
Victime d’un accident de la routeLe 7 août 2017, je me réveille 21 jours après mon accident en ne me rappelant de rien. Je ne pouvais plus bouger, ni parler.
Mon dernier souvenir est d’être en voiture avec des amis, pour rentrer à la maison après une « teuf ».
Les regards sont braqués sur moi et je ne comprends pas ce qui m’arrive. Un médecin vient m’expliquer que suite à mon accident de voiture, je ne pourrais plus jamais marcher, parler, réfléchir ni même être autonome. Les jours passent.
J’imagine comment va être ma vie et je refuse de l’accepter.
Le psy et mes parents rentrent dans ma chambre et m’expliquent que ma meilleure amie, qui était avec moi dans cette voiture, est morte. Elle avait 15 ans. Aucune larme ne coule, seule la haine est alors présente en moi. Insoutenable, irrespirable… La haine et la colère me décident à contredire tout ce qu’on m’a diagnostiqué. C’est une révolution intérieure qui fait avancer, mais qui fait mal aussi.
Aujourd’hui, j’ai réussi et je suis fière d’avoir vécu et affronté toutes ces difficultés.
La volonté et la détermination sont les clés de notre avenir.
Olivier STERN
Maire adjoint de Montreuil à la relation usagers, au numérique, aux mobilités et à la ville cyclableOlivier STERN
Maire adjoint de Montreuil à la relation usagers, au numérique, aux mobilités et à la ville cyclableMoteur allumé, ils stationnent et se regroupent à proximité des commerces qui les approvisionnent avant de repartir, vite, pour leur nouvelle course. Ces nouveaux livreurs motorisés occupent une place de plus en plus importante dans nos villes. Ils s’ajoutent aux trottinettes, vélos en free floating, scooters en libre-service et autres engins qui ont inondé depuis quelques années l’espace public. Trottinettes débridées qui circulent sur les trottoirs, scooters à fond dans les rues piétonnes, la recrudescence des accidents est inévitable si nous n’agissons pas.
Les places et rues des grandes villes de France subissent aujourd’hui l’assaut de ces nouveaux modes de déplacement adossés à des plateformes numériques prédatrices. Ni écologiques ni vertueux socialement, ils sont sources de nuisances diverses et d’une multiplication alarmante des accidents impliquant les piétons, au premier rang desquels les personnes âgées, les enfants et les personnes en situation de handicap, sont les plus vulnérables.
Face à cette situation, il faut agir et vite. D’abord en libérant les trottoirs de l’encombrement des engins et en interdisant la circulation sur ceux-ci.
Les trottinettes sont priées de ne plus circuler sur les trottoirs et de stationner dans des espaces consacrés. Les deux roues motorisées, dans de nombreuses villes, ne stationnent plus sur les trottoirs et doivent payer leur stationnement comme les automobiles. Les zones 30 et zones de rencontre se multiplient dans les villes pour faire baisser les vitesses des véhicules motorisés, qui constituent encore l’immense majorité des accidents corporels impliquant des piétons.
A Montreuil, nous avons engagé une politique d’apaisement qui vise d’une part à modifier les plans de circulation pour réduire le trafic motorisé de transit à l’intérieur des quartiers et d’autre part à le cantonner sur les grands axes, lesquels sont équipés de vidéo protection pour favoriser la fluidité et lutter contre les infractions. A cela s’ajoute un travail sur les continuités piétonnes et cyclables pour que les trajets soient le plus possible sécurisés, continus et séparés du trafic motorisé.
Un bon exemple de cette politique est la multiplication des rues piétonnes devant les écoles.
De plus en plus de parents d’élèves et d’enseignants nous demandent, aux heures d’entrée et de sortie des enfants, que ces rues soient rendues piétonnes. Et le constat est intéressant : plus d’enfants viennent à pied, en trottinette ou en vélo à l’école qu’auparavant car ils trouvent un espace sécurisé devant l’école.
Nous sommes aujourd’hui engagés dans une politique de réappropriation de l’espace public qui redonne une place centrale au piéton et qui place la sécurité de ses déplacements au-dessus de tout. Elle s’accompagne en ville d’une réduction de la place qu’occupe la voiture, génératrice de l’essentiel des accidents graves, au profit des déplacements en vélo ou à pied.
Sylvain
Sûreté Urbaine - DCSPSylvain
Sûreté Urbaine - DCSPLe vendredi 15 mars 2002, alors que j’exerçais mes fonctions de policier à Saint Lô en tant que Gardien de la Paix à la Brigade de Nuit, mon équipage a été sollicité pour intervenir sur un accident de la voie publique impliquant deux véhicules, suite à un choc frontal d’une extrême violence à Fumichon sur la RN 174.
Nous sommes partis, toutes sirènes hurlantes sous une pluie battante.
Nous craignions un sur-accident compte-tenu des mauvaises conditions climatiques et de la densité de la circulation.
Sur place, l’émotion m’a envahi instantanément : les pompiers présents sur les lieux étaient en pleurs et des draps blancs, posés à même le sol, dissimulaient ce qui semblait être de très petits corps. J’ai rapidement compris que cet accident sortait de l’ordinaire : des enfants étaient morts. A la vue de ces petits corps étendus sur le sol, mon esprit s’est déconnecté et mes gestes sont devenus mécaniques.
J’ai gardé de cette intervention des souvenirs précis : deux voitures « compressées » partiellement calcinées, des draps blancs au sol, des gyrophares bleus éclairant la nuit angoissante, les sanglots à peine dissimulés des sauveteurs et les miens quelque temps plus tard.
Une autre image m’a marqué : celle d’un homme, d’un certain âge, présent derrière les rambardes de sécurité, les bras le long du corps, immobile et hébété. A cet instant, j’ignorais encore qui il était et ce qu’il faisait là.
Les corps et les blessés ont été rapidement transportés aux urgences de l’Hôpital de la ville.
Dans la salle d’attente, j’ai remarqué la présence du vieil homme aperçu peu de temps avant sur les lieux. Je lui ai demandé ce qu’il faisait là. Il m’a répondu qu’il était le père du conducteur d’une des deux voitures et que son fils était en compagnie de sa belle-fille et de son petit fils âgé de 9 mois.
Il m’a indiqué la date de naissance de son petit-fils qui n’avait alors que trois jours de différence avec mon propre enfant. Cette information n’a fait qu’amplifier mon effroi.
J’ai fait des allées et venues entre les salles de soins et la morgue où se trouvaient les corps d’un enfant de 12 mois, d’un autre de 4 ans, d’une jeune femme et d’un homme, tous morts sur le coup. J’ai dû annoncer au vieil homme que son fils était mort sur le coup, que sa belle-fille était dans un état désespéré et que son petit-fils devait être en soins intensifs. L’homme s’est effondré et j’ai dû trouver les mots. Mais que dire en un tel moment alors que vous êtes, vous-même, envahi par l’émotion et la tristesse.
A ce moment-là, un brancard avec un jeune enfant est passé devant nous mais l’homme n’a pas reconnu son petit-fils.
Sa belle-fille est morte dans la nuit et son petit-fils trois jours plus tard.
Je suis rentré chez moi abasourdi par tant d’atrocité et d’injustice. J’ai pleuré… Les causes de l’accident : les fortes précipitations et quatre pneus de dimension différente manquant d’adhérence sur un sol mouillé.
Patrick T.
Victime d’un accident de la routePatrick T.
Victime d’un accident de la routeDes jeunes m’ont demandé un jour : « comment avez-vous eu ce fauteuil roulant ? »
Avec humour, j’ai répondu : « Je vous assure que ce n’est pas le fruit d’une vente flash sur internet, ni d’un ticket de tombola, mais tout simplement d’une seule minute d’inattention d’un chauffeur sur la route ». Mon handicap n’est pas de naissance, c’est le résultat d’une faute humaine.
La route ne tue pas, la route ne vole pas de sourire, la route ne rend pas handicapé, la route ne détruit pas des vies.
C’est l’insouciance de nos nuits alcoolisées qui vole et paralyse des vies. C’est l’imprudence de nos comportements qui fabrique des drames.
La route est faite pour rouler vers la mer, la route est faite pour rendre visite à des êtres aimés, la route est faite pour partir au lycée, au travail, la route est faite pour rapprocher les gens.
Ce jour-là, le soleil était beau, une véritable invitation de la nature à lézarder, une glace fondante à la main. Tout était magnifique jusqu’au moment où, en une fraction de seconde, le drame est arrivé. Les jambes du jeune qui courait hier étaient devenues des légumes sans vie. Contrairement à d’autres accidents, dans mon cas, ce n’était pas dû à l’alcool, ni au téléphone au volant, ni aux stupéfiants, ni à la fatigue… Ce jour-là, c’est une seconde d’inattention qui m’a été fatale. À quoi le chauffeur pensait-il ? Avait-il des problèmes au travail ? Dans sa famille ? Était-il trop confiant dans sa conduite ? Le drame était là, j’étais désormais handicapé à vie.
Le plus dur n’est pas la douleur, les sondes ou les opérations, les longues séances de rééducation (non pas pour remarcher mais pour limiter les dégâts). Non, le plus dur, c’est l’exclusion sociale, l’inaccessibilité des lieux publics, les lois inadaptées, les regards, le poids de la charité dont on dépend désormais, et les larmes discrètes de nos proches.
Le plus dur, c’est la fatigue de mes aidants, devenus les collègues de ma cellule d’handicapé sur fauteuil roulant. Ils sont là, par amour. Nombreuses sont les personnes aidantes n’ayant jamais eu de congés, ne connaissant pas de répit. Nombreux sont les efforts que les gouvernements doivent faire pour reconnaître le statut de la personne aidante. Il faut vivre cette situation pour comprendre.
Malgré tout, j’ai accepté mon sort. Il me fallait alors, moi qui marchais hier avec mes jambes, rouler désormais pour redonner un sens à ma vie. Je devais faire de la prévention, lutter pour moi mais surtout lutter pour les autres. Il faut beaucoup de courage pour mettre des mots sur les maux de cette situation. Mais, parce que la vie vaut la peine, je me suis dit qu’il serait beau de faire de mon drame, une force pour sensibiliser sur les risques des accidents et lutter pour une société meilleure et inclusive.
La route ne doit plus tuer, la route ne doit plus paralyser, la route ne doit plus voler de sourire.
Ensemble, c’est possible de rouler.
Marie-Carole TEYSSIER
Mère d’une jeune fille décédée suite à un accident de la routeMarie-Carole TEYSSIER
Mère d’une jeune fille décédée suite à un accident de la routeElle était belle, de plus en plus belle. Toujours en train de rire malgré un caractère bien trempé.
Elle voulait deux enfants.
Elle voulait s’occuper des autres.
Elle aimait les chevaux et avait un tas de copines.
J’étais si fière de la belle personne qu’elle devenait.
On ne se voyait pas l’une sans l’autre.
Elle allait passer son code et je réfléchissais déjà à l’achat de sa première voiture.
Elle préparait sa liste de cadeaux pour son anniversaire.
Oui, ma fille unique, Lisa, allait fêter ses 16 ans dans 33 jours.
Un pont, un camion en surcharge, et nous dans notre voiture…
Le pont s’écroule, chute de 15 mètres…
Elle ne passera pas son code et n’ouvrira jamais ses cadeaux.
Notre petite vie douce se transforme en cauchemar.
La vie de Lisa s’est arrêtée là, dans l’eau froide du Tarn. Moi je suis sortie de l’eau. A ma première respiration hors de l’eau, je n’étais déjà plus la même. En l’espace de quelques minutes, je suis devenue une maman sans enfant, une victime, une morte vivante accablée par la culpabilité d’être en vie. Pourquoi nous ? Destin ? Hasard ?
L’impuissance que l’on ressent face à une telle situation est terrible et indescriptible. Fragile, le cœur en miettes, et le cerveau ramollo, il faut rester en alerte malgré tout car arrive le parcours du combattant de la Victime encore en état de choc : médecine légale, gendarmerie, expertises… Il faut se mettre à nu devant des inconnus et leur raconter votre vie depuis la naissance ! Où est le lien avec l’accident ? Comme s’il fallait justifier son malheur !
J’oubliais la presse, qui relate parfois des faits inexacts ou par qui on apprend des choses. C’est ça un drame médiatisé.
Un parcours semé d’embûches où l’on croise des personnes traitant leurs dossiers avec plus ou moins d’humanité, des personnes bienveillantes mais maladroites avec le malheur, et cette phrase qui tue : « Il faut aller de l’avant maintenant ! ». Comment faire pour avancer avec ce qui nous reste de nous ? Nos seuls alliés sont la famille, les amis (bien que démunis aussi), nos avocats qui réfléchissent pour nous et le médecin conseil qui nous assiste lors des expertises. Un deuil est très personnel, personne ne vit la même chose. Le mien est imbriqué dans le traumatisme de l’accident ce qui alourdit l’évolution. Un enfant justifie notre existence. Perdre son enfant unique, c’est sa vie qui vole en éclats. Il faut recoller les morceaux et pour moi certains morceaux sont restés au fond de l’eau.
La reconstruction est longue. Je suis encore là grâce à l’amour de mon compagnon et des gens qui m’entourent.
J’aime penser que Lisa, d’où elle se trouve à présent, m’accompagne tous les jours et guide chacun de mes pas.
Comme le dit si bien Victor Hugo : « Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je
suis ».
Philippe TOUZÉ
Ingénieur Automobile diplômé, Expert de Justice agréé par la Cour de Cassation, Vice-Président de l’Institut Technique d’AccidentologiePhilippe TOUZÉ
Ingénieur Automobile diplômé, Expert de Justice agréé par la Cour de Cassation, Vice-Président de l’Institut Technique d’AccidentologieIngénieur automobile diplômé, je me consacrais à l’accidentologie routière avant même la fin de mes études puisque j’en ai fait le sujet de ma thèse de stage de 5ème année chez un constructeur automobile allemand de renom. A l’époque, cela ne s’appelait pas exactement ainsi, mais le souci de protéger les occupants et utilisateurs d’un véhicule terrestre à moteur devenait d’autant plus prioritaire que le nombre de tués sur les routes peinait alors à baisser depuis une dizaine d’années, malgré des innovations technologiques majeures. Par la suite, la science et l’ingénierie ont continué, et continuent encore, à faire des progrès spectaculaires en matière de sécurité routière, sans toutefois que leur incidence sur l’évolution du nombre de victimes soit à la hauteur de ces innovations technologiques. C’est alors qu’on s’est intéressé aux problèmes comportementaux et qu’on a commencé véritablement, en France, à enquêter sur les causes des accidents graves, tant au niveau de l’institution judiciaire qu’à celui des politiques locales. C’est à ce moment que l’accidentologie, pour ce qui concerne l’étude des causes et origines des faits, est réellement née.
Depuis, le nombre d’enquêtes ordonnées croît régulièrement alors que les méthodes d’investigation sont de plus en plus efficaces et précises, et qu’elles sont réalisées au moyen d’outils de plus en plus perfectionnés. C’est dans ce contexte que je comptabilise à ce jour près de 2000 expertises en accidentologie, effectuées essentiellement sur réquisitions judiciaires, et qui ont en commun d’être toutes particulièrement chronophages, tant les enjeux sont importants, pour les victimes, comme pour les auteurs.
Après cette brève présentation, on pourrait penser que la maîtrise du sujet et l’expérience ont pris le pas sur l’affect…. Mais ce n’est pas le cas et je sais que ce ne le sera jamais, car jamais je ne pourrais m’habituer à ces drames ! Même si mon métier me protège, parce qu’il s’intéresse aux faits, à la technologie, et qu’il impose une objectivité ainsi qu’une impartialité totale, je ne puis occulter les tragédies humaines que sont avant tout ces accidents, et tout particulièrement lorsqu’elles concernent des enfants.
Pour en avoir souvent parlé avec ceux qui, comme moi, sont concernés par ces investigations (gendarmes, policiers, magistrats également), je sais qu’ils partagent cette expérience et cette sensibilité constante, que jamais l’expérience ne vient atténuer. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison qu’il est important, capital même, de passer du temps à bien comprendre les mécanismes de l’accident, à s’imprégner de chaque élément de nature à permettre de reconstituer la chronologie des faits, afin de s’approcher au plus près de la vérité. Au-delà des responsabilités qui en découlent, c’est aussi à ce prix, je le sais, que les victimes et leurs proches peuvent tenter de se reconstruire, ce à quoi je suis fier de pouvoir contribuer.
Laurence TRAMON
Sœur d’une victime décédée d’un accident de la routeLaurence TRAMON
Sœur d’une victime décédée d’un accident de la routeLe 10 décembre 1981, ma sœur jumelle, mes parents et moi-même avons perdu Michel. C’était mon grand frère ; il avait 27 ans.
J’avais 20 ans.
Il était pompier à la Caserne de Cergy Pontoise.
C’est lors d’une intervention avec deux de ses collègues pour aller secourir une personne en difficulté sur la voie publique, que leur ambulance a glissé sur une plaque de verglas et a percuté un arbre.
Notre frère, qui se trouvait à l’arrière de l’ambulance, a été tué sur le coup.
Ce drame a été double car le pompier qui conduisait l’ambulance, s’est suicidé quelques temps plus tard. Il avait le même âge que Michel.
Je souhaite par ce témoignage rappeler le souvenir de Michel, mon frère, un jeune homme lumineux, gentil et passionné par la nature.
Il a perdu la vie alors qu’il allait porter secours avec ses camarades pompiers ; c’est triste mais en même temps c’est tellement lui car le service aux autres et la camaraderie représentaient des valeurs très importantes pour lui.
Je souhaite encore lui rendre un hommage.
Il sera toujours pour moi mon grand frère de 27 ans, bien que j’ai maintenant largement dépassé cet âge.
Frédéric VALLA
Pédiatre en réanimation pédiatriqueFrédéric VALLA
Pédiatre en réanimation pédiatriqueLe SAMU et les pompiers nous confient, à nous, personnels des urgences et de réanimation, les enfants gravement blessés, qu’ils ont pris en charge sur le lieu de l’accident.
Ce passage de relais, puis l’évaluation clinique initiale et le diagnostic exhaustif des lésions obéissent à une procédure protocolisée, faite de mots-clés, de check-lists, de bilans codifiés et de traitements standardisés adaptés à chaque diagnostic.
Les équipes soignantes s’y entraînent régulièrement, comme les pilotes de ligne le font pour savoir gérer l’urgence ou l’imprévu. Cette organisation ultra-structurée cherche à garantir une prise en charge rapide, efficace afin de reprendre le contrôle de la situation et des conséquences du traumatisme initial.
L’enfant gravement blessé est ensuite admis en réanimation pédiatrique, environnement surmédicalisé, et ultra technicisé… et pourtant lieu de tant d’échanges humains. L’urgence absolue étant passée, nous, soignants, sommes enfin disponibles pour rencontrer notre patient ; découvrir son histoire et son environnement familial.
Nous accompagnons les enfants et leurs familles dans cette épreuve de (sur)vie ; nous les voyons avancer et évoluer, affrontant les épreuves les unes après les autres. Le choc initial et la sidération, puis l’inquiétude et l’angoisse, le déni et la colère, le découragement et la foi en l’avenir, la dépendance et la ré-autonomisation. Nous tâchons de les soutenir à chaque étape, en espérant les aider à surmonter chaque obstacle de ce parcours qu’ils n’ont pas fait le choix d’emprunter.
Nos traitements apaisent, protègent et réparent. C’est essentiel.
Mais ces moments d’humanité, ces moments d’échange et d’attention réciproque apportent encore davantage. C’est ce qui nous fait aimer ce métier.
Et pourtant, nous souhaiterions qu’à l’avenir moins d’enfants aient besoin de nous…
Olivier VERLEY
Photographe-auteurOlivier VERLEY
Photographe-auteurCar ce sont souvent les gens de la marge qui font avancer les choses, et qui, en définitive, font la page…
Sur le bord des routes, si un bouquet devait être déposé partout où la vie s’est interrompue, la France serait un des pays le mieux fleuri de la planète. La Marge propose un regard sur des signes nouveaux et chargés de sens qui se multiplient et s’inscrivent dans le paysage. Ces signes commémorent, sous la forme d’ex-voto régulièrement entretenus le long des routes, les personnes victimes de la violence routière.
Plus ou moins ostensibles, le plus souvent discrets – un tronc d’arbre (souvent meurtri lui aussi) ceint d’un foulard, quelques mots, des âges, des dates, des prénoms, des noms, des objets personnels, des peluches, ce sont des cénotaphes entretenus avec une ferveur égale à celle que l’on trouve dans tous les cimetières. Tous sont visités, aucun n’est éphémère. Ils sont simplement isolés, remarquables.
Photographe dont l’activité se concentre sur la notion de paysage traversé, ainsi que sur l’illusoire tentative de ralentir tous ceux qui ne rêvent que de vivre à 100 à l’heure plutôt que de se voir vivre, j’ai choisi de suivre ici un chemin avec bords, en consignant avec rigueur, mes rencontres avec ceux que je ne rencontrerai jamais. Ce projet s’est imposé lentement. J’ai été cet homme dans son auto qui tout en conduisant voit un « truc » étrange sur le bord, dont la présence semble comme déplacée. J’ai poursuivi mon chemin. J’étais encore, mais pour peu de temps, fidèle à l’oubli. Quelques mois ont passé, puis j’ai fini par m’arrêter en sachant ce que cet arrêt signifiait : le début du travail, l’arrêt sur image. Une quête du guetteur qui pousse son qui va là ?
L’amour et la mort, on le sait, forment un couple célèbre et célébré. L’un et l’autre se disent avec des fleurs. Il y a, sur le bord des routes, des preuves d’amour, déposées par ceux qui restent pour ceux qui y sont restés. Il faudrait pouvoir commencer par l’emprunter, cette route, plutôt que de la prendre. Réviser le vocabulaire, pour réviser les comportements. De même que je ne prends pas de photographies, préférant les recevoir. La photographie étant dès lors considérée comme un don (un don du ciel d’où provient la lumière). Je ne serai jamais un chasseur d’images.
On dit souvent des photographies qu’elles sont silencieuses, et qu’elles se distinguent d’autres formes narratives. Ici, il en va tout autrement : il y a bien un avant et un après.
Si l’on convient que le sujet n’est guère réjouissant, il est malgré tout porteur d’espoir en ce qu’il contient une valeur d’exemple et de prévention. Ces signes de l’irréversible, qui indiquent que ça s’est passé là, qu’ici a été infligée une peine de mort et de douleur, sont trois fois hantés. Par ceux qui ne sont plus là, par ceux qui fidèlement entretiennent leur mémoire, et par la vie, si proche, de ceux qui passent leur chemin et poursuivent leur route.
Aurélie VERNAZ
Mère d’une jeune fille victime d’un accident de la route, présidente de Vict’w ArtAurélie VERNAZ
Mère d’une jeune fille victime d’un accident de la route, présidente de Vict’w ArtElle avait des rêves plein la tête. Des projets d’avenir à n’en plus finir. Elle était belle et rebelle à la fois. L’irresponsabilité, l’inconscience et la folie de ce jeune conducteur annulent et détruisent ce que je viens de vous écrire.
23h30, il coupe ses feux pour une raison que j’ignore encore, et s’engage sur la Nationale. Le choc est violent et emporte avec lui les rêves de ma fille. C’était le 11 août 2018, notre vie bascule. Mon fils, AIex, 14 ans était passager avant. Son corps est sauf, son esprit marqué à jamais. Ma fille, Emma, 16 ans, passagère arrière, inconsciente.
Grièvement blessée, elle sera héliportée dans un hôpital apte à prendre en charge son urgence vitale. La sentence tombe, le poids des mots s’abat sur nos vies, mon cœur de maman est déchiqueté. Je me ressaisis. Je fais face. Déterminée. Je veux la sauver, je vais la sauver. Elle passera plusieurs mois en réanimation et plus encore en rééducation.
Des jours, des semaines, des mois, des années, à me battre pour obtenir le meilleur et les moyens nécessaires pour cette nouvelle vie que nous n’avions pas choisie. Aujourd’hui, Emma est rentrée à la maison pour notre plus grand bonheur. La rééducation fait partie de son quotidien et cela pour encore bien des années. Je suis si fière d’elle et admirative du combat qu’elle mène chaque jour.
De mon côté, je souhaite que mon combat avec les administrations, les assurances, les experts, … serve à ceux qui partageraient une tranche de vie identique à la mienne, à la nôtre. Je n’étais pas préparée et c’était bien ainsi. Mais les conseils avisés, le bon expert, le bon contact au bon moment, font toute la différence sur un chemin hostile que l’on n’a pas choisi.
Raphaël VIALLE
Chef du Service de Chirurgie Orthopédique et Réparatrice de l’Enfant, Hôpital Armand TrousseauRaphaël VIALLE
Chef du Service de Chirurgie Orthopédique et Réparatrice de l’Enfant, Hôpital Armand TrousseauNuit et jour, toute l’année, l’hôpital des Enfants accueille les enfants et les adolescents victimes des violences de la route. « Petits accidents », « belles égratignures » rien n’est totalement anodin pour ces blessés du quotidien qui vont parfois en subir les conséquences pendant toute leur vie. La croissance du corps humain est un phénomène merveilleux mais un équilibre fragile et une fracture ou une plaie qui peut paraitre anodine peut avoir chez l’enfant ou l’adolescent des conséquences redoutables et irréversibles.
Dans les cas les plus graves c’est une véritable lutte pour la fonction qui va se dérouler pendant des années afin d’éviter les séquelles et permettre de poursuivre la vie la plus normale possible.
Après un accident de la route, la prise en charge est immédiate, rapide, parfois délicate dans les cas d’accidents graves avec de multiples lésions parfois vitales. Les équipes chirurgicales et soignantes doivent alors pouvoir compter sur un trio de super-héros : l’enfant et ses deux parents.
Passée la phase initiale et critique, la famille au sens large est souvent un élément fondamental de la guérison et de la résilience. Le lien avec le monde extérieur doit être maintenu à chaque instant. Cela passe par le soutien et la présence des proches, le maintien du contact avec l’école et les activités artistiques et sportives, la réduction de la durée du séjour hospitalier.
Le suivi médical de ces enfants et adolescents est une histoire collective qui continue de s’écrire bien après l’intervention chirurgicale et le séjour à l’hôpital. Les consultations sont alors l’occasion de parler ouvertement des difficultés qui restent à traverser, des progrès accomplis, des incertitudes de l’avenir.
Les chirurgiens pédiatres sont des « passeurs d’Enfants » ; ils les accompagnent avec la plus grande sécurité et le plus grand confort possible de l’enfance à l’âge adulte au travers d’un parcours long et difficile que l’accident ou la maladie se plaisent à rendre dangereux.
Mais la confiance que ces petits patients et leurs parents placent entre nos mains est admirable et nous donne l’énergie d’être à leurs côtés pour tout surmonter.
Edwart VIGNOT
Artiste et historien d’artEdwart VIGNOT
Artiste et historien d’artLa Vitesse rend Fou
Ne donne pas des Ailes
Ou alors pour de Flou
La Vitesse prend tout
Et nous casse les rêves
Comme autant de joujoux
La Vitesse pousse à bout
C’est là bien sa faiblesse
Cette Vitesse qu’on déjoue
Pour rester parmi nous
Ariel WEIL
Maire de Paris CentreAriel WEIL
Maire de Paris CentreRedonner de l’espace public à celles et ceux qui en ont le plus besoin, à commencer par les piétons : c’est notre principal objectif. Depuis la crise sanitaire, nos manières de nous déplacer ont considérablement évolué. L’essor des mobilités actives, accompagné et favorisé par une politique volontariste d’aménagement urbain, a été particulièrement massif. Si cet essor des mobilités douces et actives est une bonne nouvelle pour la lutte contre la pollution urbaine et l’amélioration du cadre de vie des habitants, il doit être encadré pour que les piétons, notamment les plus fragiles, bénéficient à plein de la réduction de la place de la voiture en ville. À Paris Centre, nous avons pour objectif de réduire le trafic de transit automobile afin de rééquilibrer l’espace public au profit des piétons et des mobilités actives. La lutte contre la pollution de l’air et l’amélioration du cadre de vie sont au cœur de nos politiques d’aménagement. Ces dernières s’incarnent notamment au travers des deux projets phares ci-dessous.
En 2023, la circulation automobile à Paris Centre-Saint-Germain sera limitée aux habitants, aux commerçants de la zone et à leurs clients, ainsi qu’aux personnes à mobilité réduite. Le trafic de transit – qui ne fait qu’emprunter le centre comme un raccourci – y sera donc proscrit et les déplacements en transports en commun, en taxis et à vélos y seront facilités.
Dès aujourd’hui, et pour 2022, la Mairie de Paris Centre porte à l’échelle de ses quartiers un projet de révision du plan de circulation, en marguerite sur le modèle de nos voisins européens, afin d’accompagner la mise en œuvre de la zone à trafic limité et en garantir la réussite. Le Marais-Les-Iles est le premier quartier qui fera l’objet de cette révision.
Par ailleurs, nous avons également mis en place localement des instances et des dispositifs pour accompagner cette révolution des mobilités.
Ainsi, dès la rentrée de septembre 2020, Paris Centre a mis en place un Comité des Mobilités Actives dont sont membres des associations vélos et des associations de piétons, de personnes à mobilité réduite, ainsi que des habitants volontaires tirés au sort. De plus, nous mettons en œuvre des opérations de sensibilisation des cyclistes et utilisateurs de trottinettes électriques. Afin de toucher un large public, la Mairie de Paris Centre, en partenariat avec des associations locales, va organiser plusieurs opérations de sensibilisation sur différents sites du territoire entre les 1er et 4e arrondissements. L’objectif de ces opérations sera de sensibiliser au respect des règles du code de la route et du code de la rue, puisque de nombreux usagers n’ont pas acquis de connaissances précises s’ils n’ont pas passé leur permis de conduire.
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